Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/266

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paraît ne se proposer d’autre objet que la justification de sa méthode ; et pour Émile l’épreuve ne semble ne lui laisser ni scrupules ni regrets. Pendant qu’Émile faisait la cour à Sophie, tous ses talents d’adresse lui ont servi : talents de danse et de chant, talents à la course, talents de menuisier ; Rousseau lui fait honneur en outre, devant sa fiancée, des connaissances de physique, de chimie, de botanique, d’anatomie qu’il lui a inculquées. Mais c’est surtout après la faute de Sophie et sa fuite, qu’Émile recueille le bénéfice de cette éducation. L’atelier est son premier refuge et son gagne-pain ; ses hôtes sont étonnés de l’aisance avec laquelle il manie la lime et le rabot. Sur le vaisseau marchand où il s’embarque, c’est lui qui indique son chemin au capitaine. Pris par les Barbaresques et jeté au bagne, il fait la rencontre de deux chevaliers, l’un jeune, l’autre vieux, instruits tous deux et non sans mérite : « ils savaient le génie, la tactique, le latin, les belles-lettres » ; mais quelles ressources pour des esclaves ! Il ne leur restait qu’à mourir : Émile leur apprend les moyens de vivre. Homme de ressources, il est en même temps un justicier impassible ; il n’hésite pas à décapiter le capitaine qui l’a fait tomber, lui et ses compagnons, entre les mains des pirates. Quant à son propre sort, il n’importe. La philosophie l’élève au-dessus de tout. Émil esclave, que peut lui ravir cet événement ? le pouvoir de faire une sottise. Il se sent plus libre que jamais. « Le temps de ma servitude, dit-il, fut celui de mon règne ; et jamais en aucun temps je n’eus tant d’autorité sur moi que quand je portai les fers. » Jamais non plus il n’a mieux compris la maxime du maître : à savoir que la première sagesse