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Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/277

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égarer aussi bien que de s’élever. Jusqu’à la veille de son mariage, Émile ne sait point ce qu’est la loi de l’obligation morale. En le maintenant dans la simplicité de la nature, son maître l’a fait plutôt bon que vertueux. Or, c’est lui qui le déclare, celui qui n’est que bon ne demeure tel qu’autant qu’il a du plaisir à l’être ; la bonté se brise et périt sous le choc des passions humaines ; l’homme vertueux est celui qui sait se vaincre ; car alors il suit sa raison, il fait son devoir, il se tient dans l’ordre, et rien ne peut l’en écarter. Un jour vient où Émile est appelé à s’appliquer ces maximes qui, en le liant, l’affranchissent. « Jusqu’ici tu n’étais libre qu’en apparence, ô mon fils, tu n’avais que la liberté précaire d’un esclave à qui l’on n’a rien commandé. Maintenant, sois libre en effet ; apprends à devenir ton propre maître. » Jamais Sophie n’entendra un tel langage ; jamais elle ne doit être relevée de tutelle. Ce n’est pas pour elle qu’a été écrite la profession de foi du Vicaire savoyard. Libertines ou dévotes, incapables d’arriver à la sagesse par la piété, les femmes ne sont pas plus propres à atteindre à la notion philosophique du devoir. Elles peuvent avoir l’amour du bien : elles n’en connaissent point, elles sont incapables d’en connaître le principe. Quand Sophie n’est plus défendue par son amour pour Émile, rien ne la défend plus contre elle-même ; elle succombe. « Fiez-vous à votre goût de l’honnêteté et de la vertu, » écrit M. de Volmar à Julie qui chancelle, et Julie lui répond : « Avec du sentiment et des lumières j’ai voulu me gouverner, et je me suis mal conduite. » Elle sent que les véritables appuis lui manquent, qu’elle est le jouet de ses émotions, qu’elle n’a pas en elle la force qui soutient et qui sauve ; et, lasse