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SUZANNE NORMIS.

je n’avais rêvé tant d’eaux courantes, de vallées, de pelouses, de points de vue divers et charmants ; le besoin de poésie que tout homme apporte en lui et qui dort pendant les années de lutte, cet élan vers tout ce qui est beau, se traduisait en moi par un enivrement complet. D’autres se mettent à collectionner des bibelots, quelques-uns achètent des tableaux, le plus grand nombre s’en va à la campagne ; mais je ne crois pas que nul ait jamais plus ou mieux joui de la poésie des choses que moi, à ce moment de la vieillesse commençante.

Je ne sais si Suzanne partageait mes impressions parce qu’elle était ma fille, ou bien si son tempérament et ses études l’avaient prédisposée aux mêmes rêveries, mais elle absorbait la vie par tous les pores et tombait dans des extases délicieuses devant les merveilles que la nature jetait à pleines mains autour de nous.

Pour la première fois nous étions dans un véritable désert. Jusque-là, la solitude n’avait été que fictive ; à la campagne, chez nous, les paysans du village, les journaliers, le personnel de la maison formaient une sorte de société qui nous entourait sans nous toucher. À Florence, nous ne parlions à personne, mais nous voyions