Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/110

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du roi. Cette fidélité ne faisait pas l’affaire de David. Il s’avisa donc d’un autre expédient, mais qui n’était rien moins qu’un crime. Puisqu’il ne pouvait, lui, sauver son honneur, Urie ne pouvait vivre. Il l’envoya donc au camp avec une lettre à Joab, où il lui ordonnait d’assigner au porteur, lors des sorties des Ammonites, le poste le plus périlleux, où il était exposé à une mort certaine. Cette prévision se réalisa : Urie tomba percé par une flèche ammonite. Bethsabée porta, selon l’usage, le deuil de son époux, après quoi David la prit pour femme, et elle lui donna un fils.

Dans tout autre pays, des fantaisies royales de ce genre n’auraient provoqué chez les courtisans que des chuchotements fort discrets ; on les eût à peine blâmées et, en tout cas, bientôt oubliées. Quant au peuple, tout au plus une vague rumeur en serait-elle arrivée jusqu’à lui. Que s’est-il passé, après tout ? Urie est mort en combattant : qui sait par quelle volonté ? Joab seul. Sa veuve Bethsabée avait été admise dans le harem : qui pouvait s’en scandaliser ? Il lui était né un fils... peut-être quelques mois trop tôt : qui aurait voulu vérifier le compte des mois ? L’enfant pouvait passer pour un fils posthume d’Urie. — Mais, dans l’État israélite, il y avait un œil habile à percer les plus savantes ténèbres, et une conscience qui prenait une voix pour accuser le pécheur, ce pécheur eût-il été roi ! Cet œil perçant, cette conscience vigilante et inexorable, c’était le prophétisme. C’était même là sa plus belle mission, de ne pas encourager le crime par de lâches ménagements et par une complaisance coupable, de le montrer, au contraire, dans sa brutale réalité pour le flétrir. David pouvait croire que Bethsabée seule était dans le secret de l’adultère, que le seul Joab était initié au meurtre d’Urie. Brusquement, et à son grand effroi, il fut tiré de cette illusion.

Un jour, le prophète Nathan se présente à ses yeux, et demande la permission de lui transmettre une plainte. Tranquillement il lui raconte une parabole : Dans certaine ville existait un riche, possédant de nombreux troupeaux ; il avait un voisin pauvre, ayant pour tout bien un petit agneau qu’il avait élevé et qu’il aimait tendrement. Un jour, un étranger arriva chez l’homme riche ; celui-ci, voulant le traiter, mais trop avare pour se priver