Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/25

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À cela se joignit encore une violente pression extérieure. Longtemps les Israélites étaient restés libres dans le pays de Gessen, n’étant considérés que comme des nomades qui ne faisaient qu’aller et venir. Mais comme après des années, après un siècle, ils étaient toujours là, qu’ils s’étaient même multipliés, les conseillers d’un roi virent de mauvais œil cette indépendance, que ne possédaient pas les Égyptiens eux-mêmes. Afin d’y obvier, on déclara les Israélites, eux aussi, serfs ou esclaves, et on les astreignit à des corvées. C’est ainsi que cette province de Gessen, où naguère ils avaient vécu libres, se changea pour eux en maison d’esclaves en creuset de fer où ils devaient être mis à l’épreuve et montrer s’ils sauraient persévérer dans leur doctrine héréditaire ou s’ils adopteraient les dieux du pays étranger.

La plus grande partie des tribus ne résista point à cette épreuve. Elles avaient bien une vague conscience du Dieu de leurs pères, si différent des divinités égyptiennes ; mais cette faible et confuse lueur s’effaçait de jour en jour. Le penchant à l’imitation, l’oppression rigoureuse et le dur labeur de chaque jour achevèrent de les hébéter, et éteignirent dans leur sein la dernière étincelle de la lumineuse doctrine des ancêtres. Dans leur rude esclavage, ces malheureux ne savaient que faire d’un dieu invisible, qui ne vivait que dans leurs souvenirs. Ils levèrent donc les yeux, à l’imitation des Égyptiens leurs maîtres, vers ces divinités visibles qui, après tout, se montraient si propices à leurs bourreaux et les comblaient de bénédictions. Ils adressèrent leurs hommages au dieu taureau Apis, qu’ils appelaient Abir[1], et ils sacrifièrent aux boucs. La vierge d’Israël, devenue jeune fille, se prostitua à un culte impur. Ils croyaient sans doute, sous la forme d’un grossier ruminant, honorer le Dieu de leurs pères : une fois que l’imagination s’affole et s’égare, de quelles monstruosités n’est-elle pas capable ? La race juive aurait sombré dans l’abjecte idolâtrie et dans la dépravation égyptienne, si deux frères et leur sœur, instruments inspirés d’une puissance supérieure, n’eussent arraché Israël à cette funeste apathie : j’ai nommé Moïse, Aaron et Miryam.

En quoi consistait la grandeur de ces trois personnages ? quelles forces secrètes agissaient en eux, et leur donnaient le pouvoir de

  1. Le mot Abir veut dire en hébreu taureau, puissant et Dieu. Il répond à l’Apis égyptien, qui était adoré comme divinité. Cf. Jérémie, 46, où le mot Abir-echa signifie : ton Apis, ton dieu-taureau. C'est parce qu'une partie des Israélites étaient habitués au culte d'Apis, que Jéroboam a pu instaurer plus tard celui du taureau et du veau.