Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/270

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et que servait un organe agréable, pénétré de l’idéal religieux que le peuple était appelé à remplir, il fit entendre à ses compagnons d’infortune des exhortations que ceux-ci n’accueillirent d’abord qu’avec brutalité — ils allèrent un jour jusqu’à le charger de chaînes, — mais dont la virile persévérance lui conquit peu à peu tant d’ascendant, qu’ils se pressèrent autour de lui, comme suspendus à ses lèvres, en le priant de leur dévoiler l’avenir. Tant que dura la lutte à Jérusalem, il demeura sourd à toutes leurs instances : à quoi bon, en effet, répéter pour la centième fois ce qu’il avait si souvent annoncé, à savoir que ville, nation et temple étaient irrévocablement voués à la destruction. Ce n’est qu’après avoir appris d’un fugitif que la catastrophe avait eu lieu, qu’il sortit de son mutisme. Alors il parla : il s’attaqua aux chefs de famille, à ces grands sans conscience et sans cœur, qui s’étaient arrangé dans l’exil une vie de bien-être et se montraient impitoyables envers leurs frères ; il tonna contre l’idolâtrie et ne répondit que par le silence du mépris à ceux qu’il voyait arriver à lui, l’image de leurs dieux sur la poitrine et dans le cœur.

Comme le reste des prophètes, Ézéchiel avait annoncé dans les termes les plus catégoriques non seulement que le peuple de Juda rentrerait dans sa patrie, mais encore qu’un changement se ferait dans les cœurs. Or nombre d’exilés qui en étaient venus, sous les coups de l’infortune, à désespérer du relèvement national, s’abandonnaient eux-mêmes et, dans l’espoir du retour promis, ne voyaient plus qu’un rêve. Nos ossements, disaient-ils, sont desséchés, notre espérance s’est évanouie, et nous ne sommes plus rien. Désespérer de lui-même est pour un peuple le pire de tous les maux; bannir une si morne appréciation parut donc au prophète le premier de ses devoirs : ce fut l’objet de cette belle parabole des ossements rendus à la rie, où il leur présenta l’image de la résurrection espérée.

D’autres encore désespéraient, mais pour une raison différente, du rétablissement de la nationalité anéantie. Ceux-ci se sentaient écrasés sous le poids de leurs fautes. Pendant des siècles, le peuple avait provoqué la colère de Dieu par son idolâtrie et ses autres crimes; comment effacer tout cela ? Ne fallait-il