Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/29

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qu’une oreille indifférente. L’excès du travail avait engendré l’apathie et l’incrédulité. Ils n’avaient même pas le cœur de renoncer à la bestiale idolâtrie des Égyptiens. Contre une telle inertie, toute éloquence devait échouer. Mieux vaut pour nous vivre dans l’esclavage que de mourir dans le désert ! Telle fut la réponse du peuple, réponse sensée en apparence.

Sans se décourager, les deux frères se présentent devant le roi d’Égypte, et lui demandent au nom de Dieu, qui leur a donné cette mission, de rendre la liberté à leurs frères. Si les Israélites, dans l’appréhension d’un avenir inconnu, tenaient peu à quitter le pays, Pharaon tenait encore moins à les laisser partir. Avoir à sa disposition, pour ses cultures et ses bâtisses, plusieurs centaines de mille esclaves, et les émanciper au nom d’un dieu qu’il ne connaissait pas, au nom d’un droit qu’il dédaignait, la seule idée de lui demander pareille chose lui semblait une insolence. Il imposa dès lors aux serfs israélites un redoublement de travail, dans la crainte que le désœuvrement ne les conduisit à des idées de liberté. Au lieu de l’accueil sympathique qu’ils avaient espéré, Moïse et Aaron subirent les amers reproches des malheureux Israélites, dont leur intervention n’avait fait qu’aggraver les souffrances.

Mais lorsque le pays et le roi lui-même furent éprouvés par une série de plaies et de calamités exceptionnelles, lorsque Pharaon dut se dire que ce dieu inconnu les lui infligeait pour châtier sa résistance, alors seulement il se résigna à fléchir. À la suite de fléaux subis coup sur coup, il pressa lui-même le départ des Israélites avec une insistance violente, comme s’il eût craint que le moindre délai ne causât sa perte et celle du pays. À peine leur laissa-t-il le temps de se munir de vivres pour ce long et pénible voyage. Ce fut une heure mémorable que cette heure matinale du 15 nissan (mars), où un peuple esclave recouvra sa liberté sans coup férir. C’est le premier peuple qui ait appris à connaître le prix de la liberté, et il a gardé depuis lors, avec un soin jaloux, cet inappréciable trésor, cette condition fondamentale de la dignité humaine.

Des milliers d’Israélites partirent donc de leurs villages et de leurs tentes, la ceinture aux reins, le bâton à la main, avec leurs enfants et leurs troupeaux, et se rassemblèrent près de la ville de Raamsès.