Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/84

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le luth par l’épée. Courageux comme il était, il se distingua bientôt dans les petites guerres auxquelles il prit part, et revint victorieux de toutes les expéditions que lui confia Saül[1]

Un jour qu’il avait infligé aux Philistins une perte considérable, tout le pays d’Israël en éprouva une vive allégresse ; de toutes les villes, des femmes et des jeunes filles s’avancèrent à sa rencontre, chantant et dansant, au son des sistres et des cymbales, et saluant sa victoire par de bruyantes acclamations : Saül a défait des milliers, mais David des myriades ! Ces démonstrations enthousiastes, ces hommages au jeune héros, dessillèrent enfin les yeux de Saül. Ainsi ce préféré de Dieu, ce successeur dont l’avait menacé Samuel, ce rival tant redouté, mais qui jusque-là n’était encore qu’un rêve, le voilà ! il est devant lui en chair et en os, c’est l’idole du peuple, c’est son favori à lui-même ; il règne sur tous les cœurs !... Ce fut pour Saül une accablante découverte. Ils me donnent les mille, à lui les myriades ; ils le placent déjà au-dessus de moi ; que lui manque-t-il maintenant pour être roi ? Depuis ce moment, les joyeuses acclamations des chœurs de femmes lui tintèrent sans cesse aux oreilles, comme un écho de la brutale parole du prophète : Dieu t’a rejeté ! Et l’affection de Saül pour David fit place à la haine, à une haine frénétique.

Dès le lendemain du jour où David était revenu vainqueur, Saül fut pris d’un accès de fureur et lui lança à deux reprises son javelot, dont il esquiva l’atteinte par un prompt écart. Ce coup manqué fut pour Saül, quand il eut repris son sang-froid, une nouvelle preuve que son ennemi était protégé de Dieu même. Alors il eut recours à la ruse pour se débarrasser de son compétiteur. Ostensiblement, il le traita avec distinction, le mit â la tête d’une troupe d’élite de mille hommes, lui confia des expéditions périlleuses et dut finalement, à son corps défendant, lui donner pour femme sa fille Michal, qui, du reste, aussi bien que Jonathan, tenait pour David contre Saül. Cela même redoubla l’exaspération du roi, qui chercha à se défaire de son gendre, subrepticement d’abord, puis ouvertement, en le poursuivant à la tête de ses soldats. David fut mis hors la loi et semblait désarmé devant son persécuteur. Mais bientôt se groupèrent autour de lui des jeunes gens déterminés,

  1. D'après Samuel I, 18, 6, David n'est pas revenu vainqueur du Philistin (Goliath ?), mais des Philistins. En hébreu, les noms de peuple s'emploient souvent au singulier, tout en ayant le sens du pluriel.