les éloges que le poète Juda Hallévi lui décernait pour son intelligence et son caractère. Quoiqu’il descendit d’une famille illustre et fût placé à la tête de la communauté importante de Lucéna, il resta toujours modeste, affable, plein d’indulgence. Une seule fois, cependant, il se montra très sévère, mais il s’agissait de l’intérêt supérieur d’une communauté entière.
L’Espagne était à ce moment très divisée. En Andalousie, les Arabes, anciens maîtres du pays, haïssaient leurs vainqueurs berbères et leur faisaient une guerre incessante, tantôt sourde, tantôt ouverte. Dans le royaume de Grenade, les chrétiens qui étaient venus s’établir dans le pays conspirèrent contre leurs seigneurs musulmans, appelèrent à leur aide Alphonse d’Aragon, le conquérant de Saragosse, et lui promirent de lui livrer Grenade. Mêmes luttes intestines dans l’Espagne chrétienne. Malgré l’union contractée par Alphonse d’Aragon avec Urraca, reine de Castille, ou peut-être à cause de cette union, les Aragonais et les Castillans tenaient les uns pour le roi, les autres pour la reine, et se livraient des combats continuels. Il y avait même un troisième parti, qui soutenait le jeune infant Alphonse VII contre sa mère et son beau-père. Parfois on voyait chrétiens et musulmans combattre sous un même drapeau, tantôt contre un prince chrétien, tantôt contre un émir arabe. Les alliances se concluaient et se rompaient avec une rapidité singulière, les conspirations et les trahisons étaient très fréquentes. Les juifs ne restaient naturellement pas neutres au milieu de cette anarchie. Volontairement ou par contrainte, ils se déclaraient pour tel ou tel parti. Mais ils couraient de plus grands risques que leurs autres concitoyens. En cas d’insuccès ou de trahison, les conspirateurs chrétiens et musulmans trouvaient un refuge auprès de leurs puissants coreligionnaires. Il n’en citait pas de même pour les Juifs. Pour être forts, ils avaient besoin d’être unis. Chez eux, la discorde pouvait avoir les plus funestes conséquences, parce qu’en cas de dénonciation, ce n’est pas seulement le coupable qui aurait été puni, mais la communauté entière à laquelle il appartenait, et peut-être les Juifs de tout le pays. Aussi, quand Ibn Migasch apprit qu’un membre de la communauté de Lucéna se proposait de dénoncer un de ses coreligionnaires, le fit-il