Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/202

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Aussi, quand le comte palatin Charles-Louis, le prince allemand le plus cultivé de son temps, offrit au Juif protestant, comme on se plaisait alors à appeler Spinoza, une chaire de philosophie à l’Université de Heidelberg, le philosophe hollandais déclina résolument cette offre. Il renia presque son propre enfant, le Traité théologico-politique, pour ne pas être troublé dans sa retraite.

Comme on pouvait facilement le prévoir, ce dernier ouvrage souleva de violents orages. Les représentants de toutes les confessions s’élevèrent avec énergie contre ce livre scélérat qui nie toute Révélation. En dépit des démarches des plus influents amis de Spinoza, le Traité théologico-politique fut condamné par un décret des États généraux, et la vente en fut interdite ; on ne l’étudia naturellement qu’avec plus d’ardeur. Dans l’intérêt de son repos, Spinoza se décida alors à ne plus rien publier de ses œuvres. Cette crainte de Spinoza d’être dérangé dans sa quiétude explique aussi pourquoi ses attaques contre le judaïsme n’émurent pas plus profondément les milieux juifs.

À l’époque où Spinoza combattait ainsi la religion de ses aïeux, on trouvait parmi les Juifs portugais un grand nombre de lettrés et de savants. Il régnait alors dans la communauté d’Amsterdam et dans ses colonies une activité intellectuelle d’une remarquable fécondité et qui était entretenue, en grande partie, par des Marranes venus en Hollande pour chercher un refuge contre les menaces des tribunaux d’inquisition d’Espagne et de Portugal. C’étaient des philosophes, des médecins, des mathématiciens, des philologues, des poètes et même des poétesses. Plusieurs de ces fugitifs avaient traversé les plus singulières aventures. L’un d’eux, Fray Vicente de Rocamora (1601-1684), avait été moine à Valence et confesseur de l’infante Marie, qui devint ensuite impératrice d’Allemagne et ennemie déclarée des Juifs. Un jour, il s’enfuit d’Espagne, arriva à Amsterdam, où il se fit connaître sous le nom d’Isaac de Rocamora. À l’âge de quarante ans, il se mit à étudier la médecine, se maria et fut placé à la tête des institutions de bienfaisance juive. Cet ancien moine composa d’excellents vers latins et espagnols.

Un autre Marrane, Enrique Enriquez de Paz, de Ségovie (né vers 1600 et mort après 1660), fut l’émule de Calderon. Entré très