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Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/222

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Les connaissances variées qu’il avait acquises dans les écoles chrétiennes lui assuraient une grande supériorité sur les autres apôtres du faux Messie, et il devint un des partisans les plus résolus et les plus utiles de cet imposteur.

Celui-ci continua, en effet, même après son apostasie, à jouer auprès des Juifs son rôle de Messie. S’il se croyait parfois obligé, pour ne pas éveiller les soupçons des musulmans, d’outrager par de grossières injures les Juifs et leurs croyances, il réunissait, par contre, assez fréquemment ses adhérents juifs pour célébrer l’office avec eux, chanter des psaumes et lire la Tora. Il se décida aussi à épouser une seconde femme, la fille d’un talmudiste, Joseph Philosophe, de Salonique. Mais les Turcs ne tardèrent pas à s’apercevoir de sa conduite ambiguë. Un jour, la police turque le surprit dans une réunion de Juifs, où il récitait des psaumes. Sur l’ordre du grand-vizir, il fut alors exilé à Duleigno, en Albanie ; il y mourut obscurément (1676).

Heureusement, pas plus les extravagances de Sabbataï que les attaques de Spinoza n’avaient pu ébranler dans leur foi les communautés importantes et si cultivées d’Amsterdam, de Hambourg, de Londres et de Bordeaux. Au moment même où le judaïsme subissait les assauts répétés de ces deux adversaires, les Juifs portugais d’Amsterdam, au nombre d’environ quatre mille, s’imposaient de lourds sacrifices pour élever une admirable synagogue. Ce superbe édifice fut inauguré en grande pompe le 3 août 1675 ; on le célébra en vers et dans d’éloquents discours, et on le fit connaître partout par des gravures. Des chrétiens même aidèrent à la construction de ce temple, et un poète, Romein de Hooghe, chanta cette synagogue et le peuple juif dans des poésies latines, hollandaises et françaises.

Spinoza était encore en vie quand la communauté d’Amsterdam, dont il s’était séparé, célébra cet heureux événement. Il mourut peu de temps après (21 février 1677) ; il n’avait survécu que de cinq mois à Sabbataï Cevi. Malgré lui, il contribua à la glorification du peuple qu’il avait si injustement dédaigné, car on reconnaît aujourd’hui de plus en plus qu’il fut redevable de plusieurs de ses meilleures qualités à la race dont il est issu.