Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/228

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leurs griefs contre le Saint-Office. Les Jésuites triomphèrent pour le moment. Mais le peuple, poussé par des agents secrets du Saint-Office, criait dans les rues de Lisbonne : Mort aux Juifs et aux Marranes ! Et lorsque le pape, par une nouvelle bulle, destitua les inquisiteurs de leurs fonctions et leur ordonna de remettre au nonce les clefs des prisons du Saint-Office, ils refusèrent d’obéir.

Dans la crainte que le pape n’intervint également en Espagne, les inquisiteurs de ce pays décidèrent de frapper un grand coup pour l’intimider. L’Espagne avait alors à sa tête le jeune et faible roi Charles II. Ils lui firent accroire qu’il ne pourrait pas offrir de spectacle plus attrayant à sa jeune femme, Marie-Louise d’Orléans, nièce de Louis XIV, qu’en faisant brûler sous ses yeux un nombre considérable d’hérétiques. Le souverain résolut immédiatement d’organiser un important autodafé en l’honneur de la reine. Sur son ordre, le grand inquisiteur, Diego de Saramiento, invita tous les tribunaux d’Espagne à expédier à Madrid les hérétiques déjà condamnés. Un mois avant la date fixée pour l’exécution, des hérauts annoncèrent solennellement cette fête aux habitants de la capitale. Pendant plusieurs semaines, on travailla avec une activité fiévreuse à élever des estrades pour la cour, la noblesse, le clergé et le peuple.

Le jour si impatiemment attendu arriva enfin (30 juin 1680). Depuis longtemps on n’avait vu réunies tant de victimes de l’Inquisition. Cent dix-huit personnes de tout âge, dont soixante-dix Marranes ! Pieds nus, revêtus du san-benito et un cierge à la main, ces malheureux furent conduits de bon matin au lieu du supplice, au milieu de religieux et de moines de tout ordre, de chevaliers et de suppôts de l’inquisition. Conformément aux anciens usages et en vertu de leurs privilèges, des charbonniers armés de hallebardes ouvraient la marche. Venaient ensuite des valets de bourreau qui portaient l’effigie d’hérétiques décédés ou en fuite et des cercueils contenant les ossements de Marranes morts dans l’impénitence. Quoique exposés aux rayons d’un soleil ardent, le roi, la reine, les dames de la cour, les hauts dignitaires, toute la noblesse, eurent le courage d’assister à cet horrible spectacle depuis les premières heures de la journée jusqu’au soir.