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Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/229

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Quiconque, parmi les personnages considérables de la ville, s’abstenait de paraître à cette fête se rendait suspect d’hérésie. Au milieu des clameurs de la foule, qui répétait sans cesse : Vive la foi ! on percevait les plaintes des condamnés. Une jeune Marrane de dix-sept ans, très belle, que le hasard avait placée dans le voisinage de la reine, suppliait la souveraine de lui faire grâce. Marie-Louise, qui n’était elle-même pas beaucoup plus âgée, ne put s’empêcher de verser des larmes de pitié. Craignant que la reine ne cédât aux supplications de la jeune fille, Diego de Saramiento conjura le roi, par la croix et l’Évangile, de remplir son devoir de prince très chrétien, et il lui tendit une torche pour mettre le feu au bûcher. Dix-huit malheureux furent livrés aux flammes. C’étaient des Marranes qui avaient proclamé publiquement leur attachement à la foi juive, et, parmi eux, une veuve de soixante ans, avec ses deux filles et son gendre, et deux autres femmes dont la plus jeune avait trente ans. Tous moururent avec une admirable fermeté. La marquise de Villars raconte qu’elle n’eut pas le courage d’assister à cette épouvantable exécution et que le seul récit des atrocités commises lui causa une profonde horreur. Une autre dame française dit que ces malheureux, avant que d’être exécutés, eurent à souffrir mille tourments, les moines même qui les assistaient les brûlant avec des flambeaux pour les faire convertir… En présence du roi et fort près de lui, on maltraitait quelques-uns des criminels, que les moines battirent diverses fois, au pied d’un autel pour les y faire agenouiller par force. Elle ajoute : Ces supplices ne diminuèrent pas beaucoup le grand nombre de Juifs qui se rencontrent en Espagne et surtout à Madrid, où pendant qu’on en punit quelques-uns avec tant de rigueur, on en voit plusieurs autres dans les finances, considérés et respectés.

Cet autodafé produisit sur la curie romaine l’effet désiré, car le pape Innocent XI cessa de s’opposer au fonctionnement des tribunaux d’inquisition en Portugal. D’ailleurs, le Jésuite Vieira, le principal adversaire du Saint-Office, était mort. Mais les persécutions incessantes dirigées contre les Marranes, si actifs et si industrieux, portèrent un coup sensible à la prospérité du Portugal. Quand vous serez roi, disait un conseiller d’État à l’héritier du