Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/406

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Par une coïncidence au moins étrange, dans la Prusse rhénane aussi, à Juliers, on imputa, en mars 1840, un meurtre rituel à un Juif. Une fillette chrétienne de neuf ans raconta qu’un Juif l’avait saisie et lui avait donné un coup de couteau dans le rentre. Son petit frère de six ans confirma son accusation. Dans un autre interrogatoire, ces enfants ajoutèrent même qu’à leurs cris un vieillard était accouru et que le Juif l’avait tué. Après une enquête minutieuse, on put établir que les enfants mentaient. L’homme censé assassiné était en vie, et au bas-ventre où la petite fille disait avoir été blessée, elle ou une autre personne avait mis tout simplement un peu de sang. D’après un bruit mentionné dans le rapport du procureur du Roi, ces enfants auraient été poussés par deux chrétiens de Düsseldorf à porter ces accusations contre le Juif. Le tribunal proclame naturellement l’innocence de l’inculpé.

Mais si la vérité put être rapidement découverte dans la Prusse rhénane, il n’en alla pas de même à Damas et à Rhodes. Là, l’infâme calomnie du meurtre rituel se trouva enveloppée de tant d’autres mensonges qu’il devint très difficile de débrouiller cet écheveau, si habilement enchevêtré, et que les esprits les plus impartiaux étaient hésitants. Vainement ces malheureux imploraient l’intervention de leurs coreligionnaires d’Europe. Le fanatisme religieux, la haine du Juif, les passions politiques se réunissaient pour empêcher qu’on tendit sérieusement de faire la lumière. Les moines, d’un coté, et Ratti-Menton, de l’autre, envoyaient des rapports aux journaux de France et d’autres pays, où ils présentaient l’affaire sous un tel jour que la culpabilité des Juifs semblait absolument certaine.

Devant cette explosion de fanatisme qui menaçait de s’étendre d’Asie en Europe, devant le cri de douleur poussé par les infortunés martyrs de Damas, le sentiment de solidarité juive se réveilla avec une généreuse ardeur. En France, Adolphe Crémieux, qui était alors déjà un avocat célèbre, intervint le premier auprès du gouvernement français. Convaincu que les Juifs d’Orient, pas plus que ceux des autres pays, ne se servent de sang, et que ses coreligionnaires de Damas étaient victimes d’une effroyable calomnie, peut-être d’une intrigue ourdie avec une infernale habileté,