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Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/61

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Portugal pour le voir de près. Mais David, qui savait qu’une imprudence de sa part pouvait lui coûter la vie ainsi qu’à ces malheureux, se tint sur la réserve, s’abstenant avec le plus grand soin d’encourager leurs espérances ou de leur conseiller le retour au judaïsme. Les Marranes ne se laissèrent pas rebuter par cette froideur et gardèrent la conviction qu’ils assisteraient prochainement à d’importants événements.

L’enthousiasme que la présence de David Reübeni faisait naître dans tant de cœurs exalta particulièrement un noble et beau jeune homme, Diogo Pirès, et causa sa perte. Pirès (né vers 1501 et mort martyr en 1532) était remarquablement intelligent, doué d’une ardente imagination de poète, et sa destinée aurait été tout autre sans David Reübeni. Né Marrane, Pirès avait reçu une excellente éducation littéraire ; il savait bien le latin, la langue universelle de ce temps, remplissait les fonctions de notaire royal à un tribunal important et était très aimé à la cour. Il avait probablement été initié par un Marrane à la littérature hébraïque et rabbinique, et même aux mystères de la Cabale. Quand il apprit le but du voyage de David en Portugal, il fut obsédé par les visions les plus extraordinaires, où le Messie jouait toujours. le principal rôle, et il s’efforça de savoir si la mission de David concordait complètement avec ses rêves. On dit que David lui aurait marqué beaucoup de froideur et fait observer que sa mission avait un caractère militaire et n’avait rien de commun avec les rêveries messianiques. Pensant que David lui tenait un tel langage parce qu’il n’était pas circoncis, Pirès résolut de se soumettre à cette douloureuse opération ; il prit ensuite le nom de Salomon Molcho. À la suite de cette opération, qui l’avait sans doute affaibli, il eut encore des visions plus fréquentes. Un jour, il crut voir en songe un être qui s’entretenait avec lui (Maguid) et l’engageait à se rendre en Turquie. Il communiqua ce grève à David. Comme celui-ci craignait que si l’on découvrait jamais que Pirès s’était fait juif, lui-même ne fût accusé de l’y avoir poussé, il lui conseilla d’obéir à son interlocuteur mystérieux et de quitter le Portugal. Diogo Pirès, ou Salomon Molcho, partit donc pour la Turquie.

Là, cet illuminé, beau, jeune, produisit une profonde sensation.