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SALLUSTE

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était alors en proie aux divisions les plus terribles. C’était le moment où Clodius et Milon se disputaient à main armée la possession du Forum. Salluste entra dans les rangs du parti démagogique et se déclara l’ennemi de Cicéron. En l’année 50, lorsque Pompée et ses partisans l’emportèrent dans Rome, Salluste fut rayé de la liste des sénateurs par les censeurs App. Claudius Pulcher et L. Calpurnius Piso ; on lui reprochait d’avoir eu des relations adultères avec Fausta, tille de Sylla et femme de Milon . En réalité, il subit dans cette circonstance la loi des partis. Ce fut pour son attitude politique, bien plutôt que pour la dépravation de ses mo’urs, qu’il fut chassé de l’Assemblée sénatoriale. Mais, après la victoire de César sur Pompée, Salluste fut élu préteur et reprit son rang au Sénat. Il fut un des partisans les plus actifs du dictateur, qu’il accompagna en Afrique. Après avoir aidé César dans la campagne dirigée contre les Pompéiens, Salluste fut nommé gouverneur de la Numidie, enlevée au roi Juba I er et réduite en province romaine. Il administra ce pays avec le titre de proconsul et se livra à toutes sortes d’exactions : « César, rapporte Dion Cassius, préposa Salluste de nom au gouvernement, en fait à la ruine du pays ». En effet, Salluste rapporta de Numidie d’immenses richesses, fruit de ses rapines, grâce auxquelles il se fit construire un superbe palais sur le Quirinal, au milieu de très beaux jardins qui furent longtemps célèbres sous le nom de Jardins de Salluste (Horti Sallustiani). Ees habitants de sa province l’accusèrent à Rome, mais César intervint, et le procès que les Africains voulaient intentera Salluste n’eut’ même pas lieu. Dès lors, Salluste ne joua plus aucun rôle politique. Retiré de la vie publique, il mena une vie somptueuse jusqu’en l’année 34, où il mourut.

Salluste est plus connu et mérite mieux de l’être comme historien que comme homme politique. Il a écrit plusieurs ouvrages historiques, dont deux nous sont parvenus complets, la Conjuration de Catilina et la Guerre de Jugurtha. Nous savons en outre qu’il avait écrit une Histoire romaine en cinq livres. Il ne nous en reste que des fragments. Dans l’antiquité, on attribuait en outre à Salluste deux Lettres sur V organisation de la République (Kpistolœ de Republica ordinandà) et une diatribe contre Cicéron (Declamatio in Ciceronem) ; mais la critique moderne n’admet pas l’authenticité de ces opuscules et refuse d’y reconnaître l’oeuvre de Salluste. — On ne connaît pas avec précision la date à laquelle Salluste composa ses livres. Il est vraisemblable qu’il écrivit la Conjuration de Catilina (Bellitm Catilinarium sive de conjuratione Catilinœ) pendant les deux années qui suivirent son expulsion du Sénat. Quant à la Guerre de Jugurtha (Jugurtha seu Hélium Jugurthinunfi, il parait difficile qu’elle ait été composée avant le séjour de Salluste en Numidie ; Salluste raconte en effet (Bell. Jugurth., 20) qu’il a consulté des livres puniques, qui passaient pour être de la main du roi numide Hiempsal ; suivant toute probabilité, ce fut pendant son gouvernement de Numidie qu’il se livra à ses recherches sur l’histoire de l’Afrique ; l’ouvrage fut donc composé entre les années 46 et 34. Quant à l’ Histoire romaine, nous avons trop peu de renseignements sur cette œuvre pour pouvoir en fixer la date ; il est toutefois fort naturel de penser que Salluste s’y consacra pendant les loisirs de sa retraite.

— Comme leurs titres l’indiquent, les deux livres de Salluste qui se sont conservés traitent : l’un, de f la conjuration de Catilina ; l’autre, de la guerre que Jugurtha soutint contre le peuple romain. Chacun d’eux forme un tout, bien complet, indépendant ; ni l’un ni l’autre ne saurait être considéré comme un morceau détaché d’un grand ensemble. Quelques critiques ont supposé que l’Histoire romaine de Salluste, qui parait avoir été consacrée surtout à la période intermédiaire entre la Guerre de Jugurtha et la Conjuration de Catilina, fut composée pour relier ensemble ces deux épisodes, dont l’un aurait formé l’introduction et l’autre la conclusion de cet ouvrage. Mais il est à remarquer que les anciens citent toujours le Jugurtha et le Catilina de Salluste comme des iivres isolés, non comme les fragments d’une grande histoire. D’ailleurs, toutes les tentatives faites jusqu’à présent pour déterminer les limites de la période dont Salluste s’occupait dans les cinq livres de son Histoire romaine et pour reconstituer le plan du livre sont restées vaines, et rien ne prouve que cette histoire commençait précisément à la fin de la guerre de Jugurtha pour se terminer avec le début de la conjuration de Catilina. Salluste est le premier en date des historiens romains qui soit en même temps un grand écrivain. Avant lui, Rome avait eu des annalistes, des chroniqueurs, des compilateurs d’histoire ; elle n’avait pas encore eu d’historien digne de prendre rang dans la littérature. Salluste est remarquable à la fois comme historien et comme écrivain. On a parfois rais en doute son impartialité ; on l’a accusé’, par exemple, d’avoir beaucoup diminué le rôle joué pao Cicéron au moment de la conjuration de Catilina, et d’avoir insisté, dans le Jugurtha, sur les vices et la corruption de l’oligarchie. Ces accusations ne semblent pas justifiées. Les livres de Salluste n’ont point l’allure ni la physionomie de pamphlets politiques ; cène sont point des œuvres de parti. L’auteur s’efforce, au contraire, de tenir la balance égale entre les diverses factions et de défendre la cause de la morale et de l’honnêteté. Il n’est pas plus indulgent pour Catilina et ses complices que pour lesi nobles romains que Jugurtha put acheter si facilement. Il n’est pas étonnant, d’autre part, que Salluste ait moins exalté Cicéron ’que Cicéron lui-même ne l’a fait. A l’impartialité, à la vérité historique, Salluste a ajouté la vie, ce que l’on pourrait appeler la vérité dramatique. Ses récits sont moins des narrations que des tableaux, tracés avec un art infini. Les principaux personnages, Catilina, Jugurtha, Marius, Metellus sont puissamment dessinés, avec un relief parfois saisissant ; les faits sont représentés en action, pour ainsi dire ; l’intérêt ne faiblit pas un instant. Les discours que Salluste a mis dans la bouche de plusieurs hommes politiques, Marius, Caton, César, ont été composés par lui ; souvent ils expriment les idées de l’auteur ; on y distingue quelquefois l’écho de ses passions politiques. Comme écrivain, Salluste serait un grand artiste, si toute rhétorique et toute affectation étaient bannies de son œuvre. On sent trop la main de l’ouvrier dans la concision voulue, souvent obscure, de la phrase, dans la recherche des mots et des tours archaïques. Il est possible que Salluste ait pris Thucydide pour modèle ; mais, comme il arrive fréquemment en pareil cas, ce sont les défauts du grand historien grec qu’il a surtout imités. D’autre part, le style de Salluste n’est pas exempt de toute déclamation ; cette tendance se marque en particulier dans les prologues du Catilina et du Jugurtha, prologues qui ne se rattachent pas étroitement au sujet, et dont on a pu dire, avec exagération peut-être, mais non sans vraisemblance au fond, que l’auteur, eu écrivant ces tirades morales, avait voulu donner le change sur les exactions du gouverneur de Numidie. Salluste n’en est pas moins l’un des écrivains les plus remarquables de Kome ; il garde, à côté de Cicéron, de César, de Tite-Live, une physionomie très originale ; il occupe dans les lettres latines l’un des premiers rangs. | — Les manuscrits de Salluste se divisent en deux familles, dont l’une est représentée par le Yatic. n. 3.86i et le Paris. Sorb. n. 500, et l’autre par le Monac. (xi e s.). VEditio princeps fut publiée à Rome en 1470. Comme éditions importantes, il faut citer celles de Gerlach (Baie, 1823-31), de Kritz (Leipzig, 1828-34), d’Orelli (Zurich, 1840), de R. Jacobs (Leipzig, 1852), de Eussner (coll. Teubner, Leipzig, 1874), de Jordan (Berlin, 1887). J. Toutain. Bibl. : Gerlach, Etudes sur Salluste ; Bruxelles, 1847.

— A. Laureck, De Sallusl.ii ingenio, arte rationeque dicendi ; Ahrweiler, 1873. — Teuffel, Histoire de la littérature romaine, trad. frCnç. ; Paris, 1879 et suiv.