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À CHAQUE FOU

rassé pour décerner le prix du malheur, résolut de les réunir à sa cour, de les interroger séparément, afin de prononcer avec connaissance de cause. Le sultan rentra dans Bagdad, et son premier soin fut de donner des ordres pour faire arrêter Ahmet partout où il tourbillonnerait.

Au jour fixé pour l’épreuve, Schahriar, entouré de toute sa cour, ayant à son côté Scheherazade, ordonna qu’on fît entrer successivement les malheureux qu’il avait découverts dans sa tournée. Aucun d’eux ne répondit à l’appel. Nadir avait vendu sa cabane, et sûr de réussir avec cet argent, les plaisirs de la cour ne pouvaient tenter un homme qui allait faire de l’or. Ghaour, sur le point de découvrir l’essence de l’âme, n’avait pas le temps d’interrompre ses méditations. Ferruch avait pardonné à sa femme ; il l’aimait trop pour la quitter un seul instant. Ahmet, saisi au passage, s’était échappé des mains des gardes, disant qu’il aimait mieux mourir que de renoncer à un pélerinage qui devait lui assurer le ciel. Les autres malheureux mirent en avant des prétextes semblables pour ne pas renoncer à leur malheur.

Schahriar commençait à trouver que pour se distraire il aurait mieux valu faire couper la tête au visir, aux ministres et aux grands de la cour, lorsque Scheherazade se tourna vers lui, et lui dit avec cette voix douce que les poëtes lauréats de Bagdad comparaient au murmure d’une fontaine :

— Prince, que ceci vous serve de leçon ; il n’y a de malheureux que ceux qui n’ont pas de désirs : alchimie, philosophie, amour, dévotion, tout ce qui remplit le cœur contribue à la félicité.

— Ces gens-là ne se trouvent pas malheureux, reprit