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BREBIS COMPTÉES, ETC.

soleils, et au milieu de tout cela un air d’innocence et de naïveté qui ne nuisait pas à la beauté de son visage.

Les jeunes bergères du voisinage, qui passaient leur temps à courir le long du fleuve en cueillant des fleurs et en récitant des vers, lui disaient sans cesse :

— Viens avec nous, Guillot, viens t’asseoir sous ces arbres touffus ; nous raconterons tour à tour quelque histoire d’amour, et quand nous aurons achevé nos récits, nous nous mettrons à danser, et tu nous joueras tes plus jolis airs sur ta musette.

— J’ai bien le temps vraiment, répondait Guillot, d’aller avec vous danser et me divertir ; et mes brebis, qui les gardera ? Savez-vous bien que si je m’écarte un seul instant le loup peut venir et m’emporter la plus belle ?

À peine avait-il prononcé ces mots qu’il aperçoit sur la crête de la montagne voisine une brebis noire qu’il reconnaît pour être une des siennes. Il veut la rappeler, la contraindre à rejoindre le troupeau ; mais il est déjà trop tard, le loup paraît, l’emporte et s’enfuit de l’autre côté de la montagne. Pauvre Guillot !

— Maudit loup ! que ne m’emportes-tu avec ma brebis ! s’écrie-t-il.

Le soir, il revint à la ferme abattu, consterné ; Robin le fermier ne plaisantait pas quand il s’agissait de son troupeau : Guillot eut beau se jeter à ses genoux en pleurant, lui jurer que, si le loup avait emporté une de ses brebis, ce n’était pas faute de les avoir comptées ; tout cela n’empêcha pas que Robin ne l’attachât à un arbre et ne lui donnât autant de coups de bâton qu’il y avait de brebis dans le troupeau. Le pauvre Guillot n’entendait rien au calcul ; mais il connut