Page:Grave - L’Anarchie, son but, ses moyens.djvu/120

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parce que nous cherchons à économiser des existences, aujourd’hui, demain, tout de suite ; nous voulons diminuer la somme éparse de malheurs et d’injustices, opérer graduellement, ce que vous voulez opérer d’un bloc[1] ! »

C’est un raisonnement très généreux, cela, je n’en disconviens pas. « Vouloir » éviter les effusions de sang : « Vouloir » diminuer la misère, l’injustice et le nombre des victimes ; cela sûrement, part d’un cœur excellent ; mais tout cela ne sont que des phrases sentimentales qui peuvent bien prouver la bonté de cœur de celui qui les exprime, mais sont nulles au point de vue de la logique.

Lorsqu’il s’agit de lutter contre l’état social, vouloir n’est pas toujours pouvoir, et, faudrait-il éviter d’aider à l’écrasement des victimes, sous prétexte de travailler à une suppression hypothétique de la misère ?

L’empressement de ces braves gens me fait l’effet de l’intervention de celui qui, voyant son ami aux prises avec l’adversaire qui l’aurait giflé, sous prétexte de lui épargner une lutte inégale, tenterait de les séparer, en tenant les deux bras de celui qu’il veut protéger, le laissant ainsi sans défense contre les coups de son adversaire.

Une réforme ne s’applique pas sur un système social, comme un emplâtre sur le ventre d’un malade avec la consolation philosophique de ce paysan qui, ne sachant quel remède économique administrer à sa vache malade, lui crachait au cul, disant : « Tiens ! pauvre bête, si ça ne te fait pas de bien, ça ne te fera toujours pas de mal ! »

  1. G. Lecomte : Société Nouvelle, septembre 1896.