Page:Grave - La Grande Famille.djvu/19

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je ne dis pas que ton raisonnement ne soit pas juste. Ceux qui se « piquent de bon sens » diront avec toi que c’est la seule conduite raisonnable à tenir… Oui !… savoir plier en temps opportun… La Fontaine a fait une très belle fable là-dessus… Moi-même, depuis trois mois que je suis ici, crois-tu que je n’aie pas senti, plus d’une fois, la langue et la main me démanger, lorsque l’arrogance d’un galonné se faisait trop sentir à mon égard ? Mais… voilà !.. l’instinct de la conservation est plus fort que celui de la dignité… je me suis retenu… je me consolai en me disant qu’après tout, ça n’est pas éternel, que ça finira un jour… l’Espérance vous fait passer sur le présent… moi aussi, j’ai appris à plier !… on apprend très vite à plier !…

Mais il y a des dispositions d’esprit où ça doit être difficile de ne pas éclater. Et alors… tant pis pour celui qui vient vous chatouiller.

À moins que, pour moi comme pour les autres, le milieu ne finisse par opérer, que je m’abrutisse tellement que je devienne insensible aux piqûres, que j’oublie ma dignité d’homme, pour arriver à faire ce qu’on appelle un bon soldat : insensible aux injures, exécutant un ordre sans chercher à le comprendre, se « cuitant » quand il en trouve l’occasion, passant des heures entières à des papotages de gosses, lorsqu’il ne rit pas à ventre débou-