Page:Grave - La Grande Famille.djvu/338

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n’avait qu’une affection très modérée pour son père ; le joug de fer qui avait pesé sur sa jeunesse, n’avait pas contribué à faire parler en lui la « voix du sang » ; mais il était loin de souhaiter sa mort, il lui aurait suffi d’être affranchi de toute tutelle.

Pourtant, il se rappelait que lors des maladies de sa mère et de sa sœur, il avait espéré aussi que l’arrêt des médecins ne serait pas irrévocable, et que, malgré ses efforts, malgré tous ses soins, l’échéance fatale, inéluctable, était arrivée.

Et, alors, il se voyait redevenant libre, jetant sa défroque au ruisseau, quittant cette livrée d’esclave. Certes, il aurait à travailler dur ; car son père avait tout vendu, tout, jusqu’à ses outils, jusqu’aux livres que lui, Caragut, avait achetés avec les maigres pourboires que lui donnait sa mère, lorsqu’elle était là. Il aurait à se créer un intérieur, à piocher dur pour acheter des meubles afin d’éviter l’hôtel garni qui ne lui souriait guère. Mais, bah ! cela ne l’effrayait pas, il se sentait assez de courage et de volonté pour ne pas bouder devant les difficultés.

Et, poursuivant son rêve, lui qui, malgré son caractère aimant, était resté chaste, sa timidité bête ayant toujours empêché sa tendresse de s’épancher, il pensait à la femme qu’il aimerait un jour, qui l’apprécierait et ne se moquerait pas de sa naïveté.