Je ne me souviens plus comment finit notre association. Il avait dû, je crois, trouver du travail. J’en profitai pour louer une chambre meublée chez une locataire de Perrare, un réfugié de la commune de Lyon. Il me recommanda également à un boucher qui prenait des pensionnaires.
Là, c’était la noce ! Pour 40 francs par mois, on avait, le matin, café au lait à discrétion, viande, légumes, dessert à midi tant que l’on pouvait en manger, et le café par-dessus le marché ; le soir, de même. Heureux temps !
Le dimanche matin, quelques-uns des camarades qui s’intéressaient à la propagande avaient l’habitude de venir faire un petit tour à l’imprimerie, Parmi ceux qui venaient, je me rappelle Ritz, un Genevois, qui, près des autorités suisses était le gérant responsable du Révolté, Belnet, le compositeur dont j’ai déjà parlé ; un autre déserteur français, nommé Sadier, un bon camarade avec lequel je suis toujours en rapports ; un nommé Steiger, ouvrier bijoutier ; un Allemand, ouvrier tailleur, nommé Bareis, tous charmants camarades.
Après avoir causé de choses et d’autres toute la matinée, on se rendait chez le père Pictet — notre proprio-marchand de vin — prendre le « distak », — c’est le nom du verre d’absinthe, à Genève — et on se séparait jusqu’au dimanche suivant.
Il me revient en mémoire une promenade que nous fîmes tous ensemble, un jour de semaine, sur le Salève. C’était une belle journée d’hiver. Il avait gelé. Lorsque nous fûmes sur la hauteur, nous vîmes, au-dessous de nous, les arbres couverts de givre : c’était féerique. Nous arrivâmes, assez fatigués, à un village sur la montagne.
À propos de Sadier, un bel exemple de la fameuse liberté suisse tant vantée. À son arrivée à Genève il était venu loger chez sa tante, veuve d’un révolutionnaire de Clamecy, réfugié à la suite de quelque mouvement. Plus tard, sa compagne l’ayant rejoint, ils s’étaient mis dans leurs meubles. Mais réfractaire, on lui mesurait l’hospitalité. On ne lui avait accordé qu’un permis de séjour vala-