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du XVIIl^ siècle: Voltaire, Diderot et Rousseau. « Si souple qu'il tut, ce saltimbanque de Diderot, il ne put jamais parvenir à être autre chose qu'un cuistre bril- lant », — s'écrie l'auteur de GœiJtd et Diderot avec une joie d'aristocrate mal dissimulée. Et il ajoute: «Il était de basse extraction el il fat toujours de mauvaises manières. Il demeura toute sa vie un petit bourgeois de Langres, et plutôt Champenois que Bourguignon, qu'on entrevoyait perpétuellement et à travers cette tête de buste antique que Houdon lui avait sculptée. Et rien n'y fit, àcela ! Ni la bonne compagnie, cette bonne compagnie du temps qui ouvrait ses bras aveugles aux gens de lettres qui lui baisaient platement le pied, — comme le Normand de Rollon, à Charles le Sot, dit le Simple, pour le renverser! — ni son séjour à la cour de Russie, quand Catherine II afî'olée de philosophes, malgré son bon sens d'homme d'Etat, l'y fit venir, l'y roulant, ce bourgeois dépaysé, dans les mêmes flatteries et les mêmes four- rures queVoltaire, qui, du moins, savaitles porter. Toujours il resta le Diderot de Langres, le bourgeois, non gentil- homme, mais familier avec tout le monde comme M. Jourdain avec son gendre, et tapant sur les cuisses de toutes les personnes auxquelles il parlait... Il fut longtemps l'ami de Rousseau, et on le conçoit. Il y a des analogies entre cesdeux esprits inflammatoires, entre ces deux philosophes de bas lieu et quelquefois de mauvais lieu: mais, rendons justice à Diderot, il était plus sain que Rousseau et surtout moins abject... Rousseau n'au- rait jamais osé, lui, s'élever jusqu'à la familiarité de Diderot. Dieu sait comme il trembla dans sa peau de laquais un jour, à l'idée d'appeler son chien Duc devant le duc de Montmorency, — et il l'appela Turc. Ce jour-là, cet homme gauche et toujours embarrassé eut l'esprit