Page:Grelé - Jules Barbey d’Aurevilly, L’œuvre, 1904.djvu/247

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Enfin, si le panégyriste de Joseph de Maistre a reproché à Buffon ce dont il faisait déjà un si vif grief à Bossnet,

— trop d'ordre et trop de bonheur ! — il faut reconnaître que par la même la doctrine romantique repi'end ses droits. Après de telles louanges, celte réserve sauve l'intégrité des théories où s'est complu l'ardent esprit du dernier des Chouans.

Mais, plus que Butfon, un homme sollicite particulière- ment l'attention de Barbey d'Aurevilly et retient son admiration : c'est Rivarol. '-< Je n'ai rien vu de plus beau.

— s'écrie-t-il après avoir lu le Jounurl de Rivarol, — que cette martingale du bon sens politique mise à l'hippo- gritTe de rimagination ». Et il continue, — car sa verve n'est pas tarie et le sujet Tentraine. « Rivarol était de nature, de premier jet, — hélas ! il n'en eut jamais un second, — de pure munificence divine, l'homme le plus admirablement doué du XVIIIe siècle, de ce temps qui fourmillait de gens d'esprit, et dans lequel planaient ces trois hommes qu'il est convenu d'appeler des génies jusqu'à nouvel ordre. Voltaire, Buflfou et Montesquieu. Voltaire ! Rivarol en a l'ironie, l'épigramme, la riposte, la clarté, la grâce. Buftbn ! il en a la magnificence, l'ima- gination dans le style, avec une chaleur que Buffon n'avait certes pas. Et Montesquieu! il en a aussi le diamant taillé à facettes, et je crois même qu'il se reconnaît en se mirant dans la facette, ce qui explique par de la fatuité son amour si vif pour Montesquieu. Ce n'est pas tout. A l'éloquence de Rousseau, devenue patricienne sous sa plume, de bourgeoise de Genève qu'elle est sous la plume de Rousseau, il joint une faculté de métaphysique qui, s'il l'eut prise à partie et déve- loppée, l'eût mis bien autrement haut que Condillac. La vocation réelle de Rivarol était peut-être cette rareté.