Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/21

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cette mort si touchante de Julia. Mais une crainte pieuse m’arrêta : j’eus peur de réveiller une telle douleur au cœur du père, et je n’osai adresser à un si grand poète des vers de commençant, si peu dignes de lui et du sujet. Je me tus donc et je gardai pour moi mon effusion lyrique inachevée.

Plus tard, à la Chambre des députés, j’eus la bonne fortune de voir enfin Lamartine à la tribune et de l’entendre dans les luttes oratoires de la coalition, en 1839. Son éloquence me ravit à l’égal de sa poésie. Mais il fallait une révolution pour qu’il me fût permis de l’approcher. Cette révolution arriva en 1848 ; et voici comment j’eus enfin le bonheur de le voir de plus près et de lui parler.

J’avais été chargé d’une mission en Allemagne par le ministère des Finances, en 1847. À la nouvelle des journées de Février, qui me surprit à Vienne, je m’étais hâté de rentrer à Paris. J’y arrivais à peine, que je reçus une visite bien inattendue. Un inconnu, d’âge mûr, de tenue fort correcte, la figure fraîche et rasée, le regard fin, le chef orné d’une perruque blonde, se présenta lui-même, sous le prétexte de me demander des renseignements sur cette Allemagne d’où j’arrivais et dont on lui avait dit que j’avais une connaissance toute spéciale. Je me prêtai à son désir, tout en me demandant quel était ce personnage.