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Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/48

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médaille. Il était aussi sincère dans l’applaudissement que dans le blâme.

Il avait l’âme trop grande pour ne pas être modeste. À moi ne m’a-t-il pas dit un jour tristement : « Je n’ai pas la grande imagination ! » Et comme je répliquais par Jocelyn et la Chute d’un Ange : « Non, insista-t-il, je le sens bien, ce n’est pas la grande imagination ! » Il voulait dire sans doute qu’il n’était qu’un lyrique, qu’il n’avait pas, comme Shakespeare et Molière, la faculté supérieure de l’imagination, ce don suprême du génie créateur, qui lègue à la postérité des types complets et immortels.

Il aimait les jeunes talents et il les accueillait avec une bonté magnifique et sincère. Ses éloges, cependant, dépassaient quelquefois la mesure et pouvaient égarer. J’étais là quand l’auteur de La Mort du Juif errant lui dit que ce qui l’avait le plus touché dans les articles qu’on avait consacrés à son poème, c’était d’avoir été regardé comme un écho lointain de Jocelyn. « Oh ! dit tranquillement Lamartine, c’est bien plus beau que Jocelyn. » Le jeune auteur rougit de honte et d’indignation, comme s’il entendait un blasphème, et répliqua vivement : « Vous me feriez croire que vous ne m’avez pas lu, monsieur de Lamartine, ou que vous me prenez pour un sot. » Le grand poète le calma, et l’on parla d’autre chose.