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Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/49

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Un matin, je le trouvai lisant Un été dans le Sahara, de Fromentin. « Eh bien, qu’en dites-vous ? lui dis-je. – C’est un écrivain accompli », me répondit-il avec son grand geste et sa belle voix d’orateur. Je me hâtai d’aller le redire à Fromentin, comme on le pense bien.

De Saint-Victor, il prétendait qu’on ne pouvait le lire qu’avec des lunettes bleues.

Il n’aimait pas La Fontaine, ni André Chénier, ni même Musset, peut-être, je le crains. Il admirait cependant Voltaire, dans ses vers légers surtout. Je ne sais ce qu’il pensait de Molière. Je doute qu’il l’appréciât. Le côté gaulois de l’esprit français lui échappait complètement. Son goût était plein de contrastes et d’inattendu.

Sa conversation était sérieuse, forte, éloquente, ou d’une simplicité charmante. Nulle phraséologie sentimentale ou poétique. Il employait même parfois des expressions et – que mes lectrices me le pardonnent – des jurons populaires. Cela me frappa en 1848. Était-ce une simple habitude de gentilhomme campagnard rapportée de Saint-Point ou une affectation de l’homme politique qui voulait échapper au cliché du Lamartine élégiaque et éthéré des premières années de la Restauration ? Je ne décide pas. On a dit qu’il n’était pas spirituel ; dans le sens étroit et parisien du mot, c’est possible. Mais il avait plus et mieux que de l’esprit, ou du moins il avait celui qu’ont