Page:Grillet - Les ancêtres du violon et du violoncelle, 1901,T1.djvu/111

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En aucune place m’avient
Que aucun preudhomme me vient
Pour escouter chançon ou note,
Que tost m’a donné sa cote,
Son garde-corps, son hérigaut.
Si en suis plus liez et plus haut
Et en chante plus volontiers.
Tels i a qui de ses deniers
Me donne, iiij, ou iij, ou ij.
Oyez, il y a plus de ceus
Qui me donnent ainz moins que plus,
El je suis cil qui ne refus
Denier, monnoie, ne maaille,
Ainz le praing, ainçois que je faille.

La situation de ce pauvre diable était loin d’être brillante, et peut se comparer à celle des mauvais racleurs qui, de nos jours, courent de cafés en cafés accompagnant des chanteurs et des chanteuses interlopes, faisant la quête et acceptant à la fois les sous et les pièces blanches. Aussi les vrais jongleurs faisaient-ils tout leur possible pour ne pas être confondus avec cette basse catégorie d’artistes qui ravalaient la profession. On en trouve la preuve dans une requête adressée à Alphonse X, roi de Castille et de Léon, par le jongleur Giraud Riquier, et dont voici un court extrait :

« Il n’est pas convenable de comprendre tous les jongleurs sous une même dénomination, puisqu’il y a entre eux de grandes différences. Ceux qui font bien leur état ont le droit de se plaindre de ce qu’on les confond avec de misérables coureurs de rues qui jouent de quelque instrument tant bien que mal et qui chantent au milieu des carrefours, entourés de la plus vile canaille, mendiant leur pain sans pudeur, n’osant se montrer dans une noble maison et s’en allant ramasser quelques sous dans de méchants cabarets. Est-il juste d’appeler jongleurs des gens dont la seule ressource est de montrer des singes et autres bêtes ?