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la France, les yeux braqués sur ses frontières, encore mal sûre de sa vocation coloniale, se donne l’air de faire de la colonisation comme par distraction. L’étonnant, c’est qu’un frisson mystérieux, un ébranlement extraordinaire n’en secoue pas moins, au vieux pays, les couvents et les monastères de femmes. On y lit les Relations des Jésuites. Les cœurs sont remués, les imaginations travaillent. Un jour treize religieuses signent le vœu de passer en Nouvelle-France si leurs supérieures y consentent. « Il y en a tant qui nous écrivent, note en 1635 le Père Le Jeune, et de tant de monastères, que vous diriez que c’est à qui se moquera la première des difficultés de la mer, des mutineries de l’Océan et de la barbarie de ces contrées. »

Enthousiasme à la rigueur explicable de la part de religieuses, entraînées par état aux choses de l’apostolat. Le cas de Jeanne Mance est autre. Nous avons affaire à une laïque. Et cette jeune laïque n’est pas née aux ports d’embarquement pour l’Amérique où le vent du large, la simple vue des voiles en partance invitent à l’aventure. Elle est née dans une province terrienne, à Langres, en Champagne. La tradition veut qu’elle ait étudié dans une maison d’enseignement de sœurs cloîtrées : les Ursulines de sa ville natale. Rien donc pour lui ouvrir, sur le monde, de larges fenêtres, les appels tentateurs. Au reste, à l’heure de son aventure canadienne, elle a passé, au sens vulgaire du mot, l’âge du romanesque, crise qui guette toute femme, ai-je entendu dire, vers les vingt-cinq ans, alors que, dans les rêveries féminines, sainte Catherine agite, tel un spectre, la coiffe inexorable. En 1640, Jeanne est âgée de trente-quatre ans et elle serait capable de l’avouer avec la franchise coutumière de ces dames en pareil cas. Dans sa vie de famille, rien non plus qui l’ait préparée à la révolution brusque et totale où elle va s’engager. Ses parents appartiennent à la bourgeoisie de robe, gens qui d’ordinaire