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n’ont l’humeur ni voyageuse ni aventureuse. Au surplus, la demoiselle aurait vécu « en grande dévotion dans la maison de son père ». Et l’on pense, malgré soi, à une vie de semi-recluse. Bientôt, d’ailleurs, la mort prématurée de ses parents va faire de Jeanne une mère de famille. Douze enfants : six garçons, six filles, sont nés sous le toit des Mance. Puis la guerre, les épidémies passent au pays de Langres. Jeanne se serait enrôlée, d’aucuns nous l’assurent, dans un bataillon d’infirmières bénévoles, sans pourtant bouger de sa contrée. Et voilà toute sa vie : vie, si l’on ose dire, entièrement faite de ce qu’il y a de plus « chez soi », de plus pot-au-feu, jusqu’au jour du souverain appel, jusqu’à l’heure où les « voix » se font entendre. Mais, encore une fois, qui ? quoi ? quelles voix mystérieuses viennent arracher cette paisible fille de France à son foyer, à son petit pays, pour la jeter sur le chemin de la grande aventure ?

Il y a des époques, comme chacun sait, où des échos, des appels diffus mais puissants, flottent dans les airs, se jettent aux trousses d’une génération, l’ensorcellent et l’entraînent. Parmi les voix du temps de Jeanne Mance encore jeune femme, est-il défendu de discerner la voix ou l’esprit cornéliens ? Et pourquoi pas ? Remarquons les dates. Le Cid est de 1636, Horace, Cinna, tous deux de 1640 ; la fondation de Montréal, de 1642. Corneille n’a pas seulement créé un climat héroïque. Pour créer ce climat, il a fallu qu’il fût un peu lui-même le fils de son époque : époque encore agitée par les fièvres révolutionnaires de la Renaissance, réexcitées par les fièvres encore plus morbides de la Réforme, puis des « Frondes », mouvements aussi profonds que la Révolution avec un « R » majuscule. Ces cataclysmes intellectuels et religieux ont laissé derrière eux une génération d’esprits bouleversés, labourés par l’épreuve, esprits impatients, qui piaffent, cherchent une