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mes mémoires

cahier de notes retrouvé depuis au fond de l’un des tiroirs de ma bibliothèque. J’y découvre des notes de cours du Père de Munnynck, o.p., du Père Mandonnet, médiéviste de grand renom, de l’abbé Dévaud sur la pédagogie, de Feugère sur la littérature, de Bertoni sur les « Origines de la langue française », de Langen-Wendels sur le « Modernisme religieux », de Max Turmann sur « Trusts et Cartels », du Père Allo, o.p., sur la « Sociologie dans l’Évangile ». Halte enivrante, malgré la fatigue où je me trouve. J’envoie quelques-unes de mes impressions, sous forme d’articles, à M. Omer Héroux, alors à La Vérité de Québec, qui voulut bien les publier, en quatre parties, dans les numéros des 21, 28 septembre et 5 octobre 1907 du journal. À ce moment, je ne me doute guère que, dans un an, je reviendrai m’inscrire, à titre d’étudiant, dans l’université fribourgeoise.

Mais à Fribourg, la France était trop proche. J’y suivis mes compagnons de voyage. Dans la banlieue de Paris, à leur Séminaire alors vide d’Issy-les-Moulineaux, les Sulpiciens accueillaient les Canadiens pour 5 francs par jour : somme tout à fait adaptée à ma bourse.

Un vif désir me tenait, du reste, de voir la France. Avouerai-je cependant que je n’éprouvai guère le choc sentimental dont nous ont fait part tant de nos voyageurs, choc où ils ont mis, je pense, autant de colonialisme moral que de pose. Aussitôt la frontière franchie, le paysage français ne me trouve pas indifférent. J’aime tout de suite ce visage du vieux pays qui me révèle une parenté. Mais, dès les premiers contacts avec les hommes, je suis d’abord frappé par les différences — je dirais volontiers les distances — qui séparent, me semble-t-il, les Français qu’après trois siècles nous sommes devenus, du Français resté en son patelin. Notre flegme, notre réserve s’accordent mal avec la spontanéité, la mimique, la pétulance verbale du cousin. Le langage même, par ses intonations, ne laisse pas de déconcerter. Différences ou oppositions qui s’atténuent, je le sais, en un séjour de quelque durée. Mais, encore une fois, je retrace mes souvenirs tels qu’ils