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mes mémoires

et dont l’on trouvera l’exposé dans les Rapports de ces congrès. Dès lors je me pose en adversaire de la composition littéraire hebdomadaire (discours ou dissertation). Je veux qu’on s’en tienne à une composition par quinzaine. Exiger davantage d’un jeune humaniste ou rhétoricien, médiocrement pourvu de vocabulaire et d’idées, équivaut à le contraindre au verbiage, au bafouillage. Excellente machine pneumatique à pratiquer le vide dans les jeunes intelligences. Autant demander à un écrivain, même chevronné, la rédaction d’un grand article de revue par semaine : effort que nul ne saurait soutenir sans s’essouffler incurablement.

Je projetais surtout de développer davantage, en mon enseignement, l’explication des auteurs. La réforme peut paraître anachronique aujourd’hui. Elle ne l’était pas tellement à l’époque. J’avais été la victime d’une autre pédagogie et il m’apparaissait stupide de bourrer le cerveau de nos élèves de principes d’esthétique et d’histoire littéraire et de les mettre si peu en relation avec les grands maîtres. L’art littéraire, comme tout autre, ai-je toujours cru, ne saurait se dispenser de l’enseignement d’une technique. La technique n’est pas tout, certes ; elle ne dispense point du talent ; mais elle l’aide ; elle lui est indispensable. Le violoniste doit connaître son archet, les valeurs harmoniques de chacune des cordes de son instrument ; le pianiste, l’organiste ont à se familiariser avec leur clavecin, le jeu des pédales. Ainsi pour tout art. L’écrivain doit connaître sa langue, s’en assimiler le génie particulier ; il lui faut en explorer toutes les ressources, et, dirais-je, jusqu’à la valeur expressive et musicale des voyelles et des consonnes. D’autant que ces exercices d’explication offrent ce capital avantage de mettre l’élève à l’école nécessaire des grands modèles. Et de même qu’il me paraissait encore incroyable que l’on pût entreprendre la formation d’un musicien, d’un peintre, d’un sculpteur, d’un architecte, par le seul enseignement d’une technique, sans jamais leur ménager la connaissance des chefs-d’œuvre en ces arts divers, ainsi ne pouvais-je concevoir qu’on pût apprendre à écrire sans se mettre assidûment à l’école des grands écrivains. J’avais déjà introduit cette méthode à Valleyfield. Je me proposais bien de la perfectionner.