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deuxième volume 1915-1920

mon comté, vers 1891, nous n’en finissions plus d’élections et de contestations d’élections. J’appartenais alors au parti bleu sans trop savoir pourquoi, un peu comme tout le monde, mais à cause de cela même, avec beaucoup de conviction. Dans mes discours de bambin, — j’en fis plusieurs, — il a dû m’arriver de pourfendre éloquemment le chef libéral. Les grands électeurs et les grands orateurs nous donnaient là-dessus de si persuasives leçons. Et nous n’avions qu’à les piller généreusement dans les gazettes et brochurettes que nous offraient à foison les clubs, car, en cette glorieuse époque, mon village qui ne possédait pas l’ombre d’une bibliothèque, avait ses clubs politiques notablement documentés, et selon la plus stricte orthodoxie partisane. À Sainte-Thérèse, je fais mes classes de Rhétorique, en la fameuse année 1896. Notre professeur, l’abbé Sylvio Corbeil, un fort brave homme et un saint prêtre au surplus, s’affiche naturellement, comme tout bon clerc de l’époque, dévot conservateur. On imagine en quels termes, à propos d’histoire contemporaine ou sans à-propos, et au lendemain d’élections particulièrement orageuses, il abomine le chef libéral, responsable de l’échec du Bill remédiateur, de la chute du parti de la justice, hissé au pouvoir sur le cadavre de la minorité manitobaine. Nous vivons des jours de violentes polémiques. Dans son journal, Le Courrier du Canada, le justicieux, le calme M. Thomas Chapais stigmatise proprement Laurier comme un traître à sa race et à sa foi. Virulences de plume et de parole bien faites pour ne pas déplaire à nos esprits absolutistes de collégiens.

À Valleyfield, en 1900, j’allais entendre, sur Laurier, un autre son de cloche. Séminariste en repos, j’occupe à l’évêché une vague fonction de secrétaire par intérim. Deux Pères oblats, dont l’un le Père Portelance, prêchent à la Cathédrale les missions du carême. Le Père Portelance, curé au Sacré-Cœur d’Ottawa, a pour paroissien le premier ministre du Canada. Je dis « paroissien », car en effet, Wilfrid Laurier, peu dévot jusque-là comme tous les « rouges » de la vieille école, s’est remis à la pratique religieuse depuis, je crois, l’année précédente. Il a fait ses Pâques