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deuxième volume 1915-1920

des roues et la piste centrale des chevaux. En ce temps-là, de quoi sont faites mes lectures ? Je me souviens, en particulier, de vacances où, pour m’affermir en mon ministère d’éducateur, j’analyse et j’annote, au chapitre et à la page, L’Éducation de la volonté de Jules Payot, et, pour corriger les thèses de cet agnostique, l’Art d’arriver au vrai de Balmès et Le Prix de la vie d’Ollé-Laprune. Je me prépare aussi de mon mieux à mon enseignement. Je lis de l’histoire, de la littérature, des ouvrages de pédagogie ; je garde toujours bonne place à ce que j’appelle la moelle des lions, les livres forts, ceux qui obligent à colleter avec eux, et qui, en obligeant à penser, à réfléchir, initient à ce grand art. Professeur de littérature, hélas, dès ma dernière année de Grand Séminaire, je nourris le dessein, surtout après mon retour d’Europe, de lire, en suivant certain ordre chronologique, ou les œuvres des diverses écoles ou époques classiques, ou l’essentiel au moins des grands chefs-d’œuvre, ceux qu’un homme de culture ne saurait ignorer. Je lis aussi, ma bibliothèque en témoigne, les histoires littéraires, les œuvres des critiques. En outre, et je crois l’avoir dit, je me suis persuadé que, si la littérature est un art, elle est d’abord, comme tout art, une technique et qu’il existe une technique de la phrase française. C’est pour ce motif que j’ai tant lu et tant pioché des ouvrages comme L’Art de la prose de Lanson, L’Art des vers de Dorchain, L’Explication française de Rudler et autres essais du même genre. J’ambitionne de m’assimiler toutes les ressources de ce merveilleux instrument de penser, de parler et d’écrire qu’est le parler de France. Cocteau a dit, il est vrai, que « le métier, c’est ce qui ne s’apprend pas ». Je n’en crois rien. Une autre sorte de lectures accapare mes heures de vacances. Je cherche des livres pour mes dirigés. J’ai dit la considérable influence que j’attribuais à certains de ces livres dans la formation des collégiens. Je cherche à découvrir ces maîtres livres d’élévation morale et même chrétienne. J’eusse voulu découvrir surtout une grande, une belle histoire du Christ. Cette quête remontait à mon temps d’écolier. Un fait n’avait pas cessé de m’étonner. Nos maîtres réussissaient à nous donner des images assez nettes des grands personnages de l’histoire : un César, un Cicéron, un Louis XIV, un Napoléon. Mais le Maître par excellence, quelle image imprécise, floue, il gardait dans nos esprits de jeunes gens ! Cette image, collégien, j’avais essayé de l’atteindre, de la saisir dans