Ces soirs-là, après avoir avironné, parcouru à pied ou en portage près d’une vingtaine de milles, un homme dormait bien au Château Saint-Ange, la tête pleine des vivifiantes images d’une nature neuve, presque inviolée, à cette époque, le cœur plein de joies saines, joies solides en cette compagnie de jeunes religieux, âmes aussi saines, aussi fraîches que la nature où ils s’ébattaient.
Le moindre charme de ces pique-niques et de toutes ces vacances n’était pas de me ménager la compagnie plus fréquente du « Petit Père Villeneuve », ainsi que nous persistions à l’appeler. C’est alors surtout, autant que dans mon voyage d’Acadie, que j’appris à le connaître et que notre amitié s’en trouva fortifiée. C’est pendant ces années-là qu’il m’écrivait des choses comme celles-ci : « Tout cela m’attache à vous, et je ne pouvais point ne point le dire. » Presque toujours ensemble, aux haltes des excursions en canot, assis côte à côte dans l’herbe sous les arbres, que de lectures commentées nous avons faites, que de causeries nous avons prolongées ! J’appris à admirer la piété du « Petit Père », piété simple, vive, presque celle d’un enfant. C’était un grand religieux. Presque ingénu parfois en ses admirations, ses étonnements, il est loin de se douter, à ce moment de sa vie, du haut destin qui l’attend. Pourtant aujourd’hui que je le revois à distance, j’admire comme il s’entraînait à l’exercice de l’autorité, à ce mélange d’énergie, de souplesse et de finesse qui ferait son commandement d’acceptation si facile sans jamais l’affaiblir. Très studieux, même les jours de congé, il apporte toujours un livre avec soi. Et les jours où l’on reste à la maison, il passe presque tout son temps, enfermé en sa cellule, plongé en quelque ouvrage de théologie, de philosophie ou de spiritualité. J’admire aussi son ouverture d’esprit. Ancien élève du Mont-Saint-Louis de Montréal, il n’a pas suivi un cours régulier d’enseignement secondaire ; il n’a pu compléter ses études qu’au Noviciat des Oblats. Plus tard, devenu cardinal, il me dira :
— Ces bons Frères des Écoles chrétiennes me réclament volontiers comme une de leurs gloires, un produit de leur formation scientifique. Ils oublient qu’il m’a fallu, plus tard, dans ma communauté, compléter cette formation scientifique, par la culture classique.