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mes mémoires

Toute forme de connaissance, toute littérature, tout art l’intéresse. Il est encore à cet âge où, tout en se plongeant dans sa spécialité, l’homme se laisse emporter par sa curiosité intellectuelle, voudrait goûter à tous les fruits de l’esprit, se flatte d’amasser des clartés de tout. À La Blanche, vers les quatre heures de l’après-midi, selon ma vieille habitude, j’interromps mon travail. Je quitte mon Château Saint-Ange pour quelques minutes de détente. Souvent je vais m’asseoir avec un livre de lecture plus facile, sur une petite éminence, à quelques pas, d’où sous les arbres l’on domine le lac. Il vient parfois m’y rejoindre. Je me souviens d’un après-midi où j’ai, entre les mains, Mireille de Mistral. Ce sont plusieurs chants du poème qu’il me faut lui lire d’affilée tant cette poésie, si proche de la nature et si humaine, le séduit. Il m’emprunte même le livre pour le lire en entier.

Les Rapaillages

C’est un peu à ce compagnon de travail, je crois bien, que je dois d’avoir écrit Les Rapaillages, ou du moins, d’en avoir fait un petit livre. J’avais déjà publié deux de ces contes dans une revue alors réputée pour sa tenue intellectuelle : le Bulletin du Parler français. Avais-je jamais pensé à en écrire d’autres et à les mettre en volume ? J’en doute. C’est le Père Villeneuve qui déclencha en moi cette veine. Ceci se passe en nos vacances de 1915. Les jours où il n’y a point excursion dans les lacs et les montagnes, le soir, après souper, les ecclésiastiques se jettent par petits groupes de deux à trois dans les canots et avironnent sur la nappe d’eau en face de la maison. Leur fanfare — ils se sont donné un corps de fanfare — prend place dans une large barque carrée et jette aux échos des environs ses airs favoris. Puis, la brunante venue, un rappel fait se grouper tous les canots autour de la barque. Et la soirée s’achève en veillée de famille. On raconte des histoires. On me fait causer. Un jour le Père Villeneuve me dit :

— Apportez donc ce soir l’un ou l’autre de vos contes. Les scolastiques ne les connaissent point. Vous les leur lirez.