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deuxième volume 1915-1920

Je lis un premier conte. Il me fait, sur-le-champ, cette invitation :

— Pourquoi n’en écririez-vous pas d’autres dont nous aurions la primeur ?

Invitation qui devient pour moi tentation. Au Château Saint-Ange j’ajourne d’autres travaux. Et pour le plaisir du Père Villeneuve et de mes jeunes amis les scolastiques, je me fais conteur. Quotidiennement, je parviens à bâtir un conte, souvenirs d’enfance qui ne demandaient qu’à voir le jour. Et c’est ainsi que j’écris : « Quand nous marchions au catéchisme… », « L’Ancien temps », « L’Herbe écartante », « Le Dernier voyage » et peut-être « Le Blé ». « Le Dernier voyage » surtout obtient grand succès. Un scolastique, remué par ses souvenirs d’enfance, pleure tout de bon. À l’automne, avec ces écrits de vacances ajoutés à deux ou trois déjà publiés et à une couple d’autres gardés en portefeuille, j’ai de quoi composer un petit volume. Il paraît en 1916. Mon permis d’imprimer, qui est de Mgr Bruchési, est daté du 24 juin de cette année-là. On m’a parfois demandé : Était-ce une autobiographie ? une tranche de votre enfance ? J’ai cru répondre : oui et non. Tout n’est pas historique, même si le fond est généralement vrai. J’avoue y avoir mêlé quelque peu de fiction. J’ai prêté parfois à ma grand-mère des actes, des gestes, des souvenirs qui se rapportent plutôt à ma mère et vice versa. Ce qui reste vrai, authentique, c’est le fonds de sentiments qui s’y expriment, c’est la couleur des souvenirs et des jours qui furent ceux de mon enfance, telle du moins que ce temps lointain me revient encore aujourd’hui avec son charme, sa poésie. Les thèmes des Rapaillages sont d’ailleurs purement accessoires. Ils m’ont servi à faire revivre une époque, un milieu où grandit, il y avait alors quarante ans, un petit campagnard de Vaudreuil. Ce privilège fut le mien d’avoir vécu les premières années de ma vie au moment précis où s’ébauchait une profonde évolution de la vie rurale. Ma naissance me situe à cheval sur deux époques. J’ai connu l’époque de la vie ancienne, celle où la vie campagnarde n’avait guère bougé depuis cent ans et plus. J’ai connu le temps de la faucille, de la faux et du flot (fléau), du soulier de bœuf et du chapeau de paille tressé à la maison ; j’ai connu le temps de la petite et de la grande charrette, des épluchettes de