Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
349
deuxième volume 1915-1920

Ils risquaient d’avoir mauvaise presse. Les urbains n’ont jamais rien compris aux choses de la campagne. Œuvre de littérature régionaliste, nulle étiquette ne pouvait plus mal servir mon petit bouquin, publié en édition de poche. Le titre à lui seul, par sa senteur de fenaison, sa saveur bucolique, évoquait le produit frelaté, vieilli, hors d’usage. Dans un certain milieu de nos intellectuels, on ne sait au juste ce qui s’appelle régionalisme et l’on eût été bien empêché d’en donner une définition exacte. Il n’importe. L’on enveloppe dans le même mépris, ou ce qui était pis, dans la même indifférence, tout ce qui, en littérature ou en art, exhale une saveur canadienne, une atmosphère de terroir. L’essentiel, pour paraître entendu, à la page, passer pour un homme de talent, est alors de ne pas être de chez soi, de se refuser à peindre, à raconter les choses, les hommes de chez soi. Consigne suprême : viser à l’universel. Et l’on court après l’universel, et comme de raison après le chef-d’œuvre, comme si l’on pouvait atteindre l’un et l’autre en se dépouillant de son originalité foncière, et comme si une littérature canadienne-française pût exister sans Canadiens français. Je l’ai dit et je le dirai tant de fois : le suprême malheur des Canadiens français, et dans tous les ordres, politique, économique, intellectuel, c’est qu’il n’y a pas de Canadiens français. Un goût existe pourtant vers 1920 pour les choses de chez nous, un goût largement répandu et pas seulement dans les couches populaires et parmi les semi-illettrés. Au vrai, même parmi les « urbains » de la première génération, lequel de nos professionnels ou de nos collets blancs n’avait pas usé, enfant, quelques paires de souliers de beu ? M. Adjutor Rivard, à qui j’avais envoyé, pour le Bulletin du Parler français, « Les Adieux de la Grise », me demandait un autre conte. Et il m’écrivait (25 mars 1915) : « J’ai reçu votre lettre du 21 mars avec votre nouveau conte canadien-français, intitulé “Le vieux livre de messe”. La lecture de ce nouveau conte m’a tout simplement charmé. Je suis certain que les lecteurs de notre revue le goûteront comme ils ont goûté le premier. Nous avons reçu, au sujet de votre conte : “La Grise”, les plus grands éloges. » Adjutor Rivard venait de publier ou allait publier, lui-même, quelques recueils de la même littérature. Entre ses contes et les miens, je noterai peut-être cette différence que M. Rivard faisait œuvre plus impersonnelle. Il décrivait surtout des mœurs et des personnages d’une époque révolue. Pour