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deuxième volume 1915-1920

exemple, des Archives nationales à celles des Affaires étrangères, il faut, à l’époque — nous ne sommes encore qu’une humble dépendance de l’Empire anglais — adresser sa pétition à l’Ambassade britannique, ce qui réussit à nous manger parfois deux et même trois semaines. Je m’accommode pourtant de ce régime de vie qui, pour l’avoir pratiqué assidûment à Ottawa depuis six ans, est devenu le mien. Et le plaisir de la recherche est de soi si prenant. Dans le travail historique, ai-je dit bien souvent, deux moments existent qui font oublier le dur, le terrible entre-deux. Premier moment : celui de la recherche et de la découverte : joie de l’explorateur plongeant tout à coup ses yeux dans un horizon neuf, joie du savant qui voit le mystère s’éclairer au fond de ses cornues ou de son télescope, joie du piocheur, de l’archéologue, qui fait surgir de la poussière millénaire un vestige d’antique civilisation. Autre moment, aussi enivrant celui-là sinon plus : celui de la fin, de l’achèvement, émotion vive de l’historien qui croit avoir reconstitué, sinon ressuscité un lambeau de vie humaine, une frange d’histoire morte et oubliée. Joie comparable à celle du prophète Ezéchiel, lorsqu’à son appel et sous le souffle divin, il a vu tout à coup des cadavres desséchés se couvrir de nerfs, de chair et de sang, et se dresser sur leurs pieds. Mais il y a, ai-je dit, l’entre-deux, un autre moment, celui qui force l’esprit à se cambrer, à ramasser toutes ses ressources pour le long, l’ardu dépouillement de la documentation, travail pénible, délicat de la critique, effort de la tête froide qui, de tant de lambeaux de vie éparse, confondus, mêlés, tâche à tirer une vie organique, un fragment authentique d’humanité.

En allant et revenant des Archives nationales, une joie m’attend le long de ma route, joie renouvelée chaque jour, dont il ne me souvient pas que je me sois fatigué : m’arrêter un instant et contempler, au fond de sa large place, Notre-Dame de Paris. Poème épique de la pierre et de la foi. Image de beauté dont on peut s’emplir tous les jours les yeux sans plus se lasser qu’à relire une tragédie de Racine ou un sermon de Bossuet.

Cours à l’Institut catholique

Une autre de mes distractions, c’est d’arrêter à l’Institut catholique, y capter un cours au passage. J’y entends Jacques Maritain