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deuxième volume 1915-1920

école aussi des plus saines traditions de la culture nationale. À l’Hôtel Jean-Bart, ai-je dit, j’ai, pour compagnon de pension, l’abbé Chaussé, charmant homme, étudiant en sciences, mais l’esprit ouvert à toutes formes de culture. L’abbé Chaussé est un passionné de l’Action française ; il en suit régulièrement les diverses manifestations ; il s’est presque donné des convictions royalistes. Sur ce point, je ne partage point ses enthousiasmes. En méfiance contre toutes les formes de colonialisme, je n’estime point le colonialisme politique même français plus acceptable que le colonialisme intellectuel. Le mouvement royaliste m’intéresse néanmoins par son extraordinaire allant, la valeur intellectuelle de ses chefs, l’effort d’assainissement tenté par lui. L’embryon d’université organisé par les royalistes maurrassiens possède ses locaux à une petite distance de l’Hôtel Jean-Bart, sur la rue Saint-André-des-Arts. Le soir, l’abbé Chaussé et moi, et parfois quelques Canadiens de passage à Paris, nous ne manquons pas d’aller entendre quelques professeurs de la jeune institution. J’assiste à une conférence de Maurras ; il y explique sa conception de la liberté d’enseignement et l’application qu’en feraient les royalistes, le pouvoir conquis. L’homme est de taille très moyenne, un peu courbé, barbu, déjà fort grisonnant, les pommettes rosées. La voix, une voix de sourd, n’a guère de résonances agréables. Du reste, Maurras ne s’entend pas soi-même ; pour lui transmettre questions et objections, — car les cours s’achèvent en forum, — Maurice Pujo, qui se tient près du maître, lui parle littéralement dans le nez. Maurras, professeur, ne m’a pas ébloui. Il n’a jamais été pour moi, au surplus et quoi qu’on ait dit, ni l’un de mes dieux littéraires, ni un maître de pensée. Je l’ai lu, je ne l’ai pas beaucoup lu. Je n’ai jamais trouvé que fût si impeccable ce qu’on appelait son impeccable clarté. Et par ce qu’elle contenait d’imprécis et de confus, sa doctrine politique ne m’a jamais conquis. J’aimais le lire toutefois dans son journal qui me paraissait alors le plus vivant de la presse parisienne, charriant le moins de sottises. Un autre professeur attire mon attention, Marius