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mes mémoires

André, qui s’efforce, non sans véhémence, à une réhabilitation de la colonisation espagnole en Amérique latine. À quelle démolition de Las Casas nous assistons ! Mais le professeur émérite de l’Université royaliste et qui, plus que tout autre, nous charme véritablement, sort à peine de la Normale supérieure. On ne lui donnerait pas trente ans, il s’appelle Pierre Gaxotte. Il ébauche devant nous son futur Louis XV, sujet bien propre à nous captiver. Avec cela que le jeune professeur, s’aidant tout au plus de ses notes, parle avec abondance, une aisance de vieil homme de métier, dans une langue nette, colorée, émaillée volontiers de fines malices. Dans ma vie d’étudiant, je n’ai entendu qu’un seul professeur dont il me rappelle au surplus la manière et qui m’a plu au même degré : Maurice Masson à Fribourg. Lui et Gaxotte répondent à l’idée que je me suis fait du professeur, capteur d’attention, modèle de beau langage, éveilleur d’esprit. Après l’un de ses cours, je vais serrer la main du jeune Gaxotte ; je lui révèle ma qualité de Canadien et me permets de lui dire :

— Pour achever vos idées sur Louis XV et sur la guerre de Sept Ans en Amérique, il vous manque un séjour au Canada.

Pierre Gaxotte viendra un jour au Canada donner quelques cours. À son premier, fort aimablement, il rappellera notre rencontre de 1922, à Saint-André-des-Arts et l’invitation que je lui ai faite : « Un jeune prêtre de chez vous m’avait invité à venir au Canada. Je réponds à l’invitation… » Il m’arrivera même de présenter Gaxotte un soir à un auditoire du Cercle universitaire. En vieillissant, le jeune professeur n’avait pas changé de manière. Cette fois-ci, il nous entretenait de Louis XIV. M. Édouard Montpetit devait me dire : « De tous les conférenciers qui nous sont venus sous les auspices de l’Institut scientifique canadien-français, Gaxotte laissera le souvenir du plus charmant et du plus fin que nous ayons entendu. »