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mes mémoires

blay. À lui et au Père Richard Arès, s.j., nous devons le précieux volume des conclusions. Rapport d’enquête, on le sait aussi, enfoui dans les oubliettes de Québec, pendant tout le règne de Maurice Duplessis, mais devenu aujourd’hui la bible des politiciens. Peu d’hommes ont plus réfléchi que Minville sur nos problèmes de vie et y ont plongé un regard plus clair et plus intelligent. Peu d’hommes également en ont été plus obsédés. Je le sais pour avoir suivi, pas à pas, puis-je dire, l’évolution et la montée de cet esprit. Encore aujourd’hui nos relations sont restées ce qu’elles étaient il y a trente ans. Peu de mois se passent que Minville ne m’arrive pour longtemps converser. C’est qu’alors il est aux prises avec un projet, un problème. Et l’on dirait que, pour y voir plus clair, il a besoin d’en parler, d’entendre les observations, les objections d’un interlocuteur. Sa pensée alors s’illumine, se construit sous vos yeux, échafaude thèse sur thèse. Esprit perpétuellement en travail, esprit fécond, l’un des plus généreux et l’un des plus étonnants sûrement de sa génération quand on songe au point de départ de ce magnifique autodidacte. Lors de ce banquet du 17 décembre 1938, offert au nouveau directeur de l’École des Hautes Études commerciales, je disais : « Je me glorifie d’être de ceux qui ont deviné son talent, au temps où j’étais directeur de L’Action française. » J’aurais pu ajouter que, parmi toutes les amitiés qu’il m’aura été donné de conquérir dans la génération qui me suit, celle de Minville est bien l’une de celles que je place le plus haut. Sentiment qu’il m’a généreusement retourné. Comme beaucoup de jeunes gens de son temps, il a été porté à surfaire les quelques services que j’ai pu lui rendre. Au lendemain de sa réception à la Société Royale, le 3 février 1945, il m’écrivait une lettre que je garde comme le témoignage de gratitude le plus émouvant que j’aie jamais reçu :

Cher monsieur le Chanoine,

L’autre jour, aux Trois-Rivières, sous l’avalanche, je n’ai pas eu la force de réagir assez pour vous dire au moins merci. Mais hier soir j’ai lu votre texte, dans L’Action nationale, et je serais le dernier des sans-cœur si je ne vous en exprimais ma vive reconnaissance. Vous n’y êtes pas allé de main morte. Certes, vous avez exagéré — on ne peut pas s’en empêcher en