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mes mémoires

science, d’en poursuivre les applications utiles, d’en établir les rapports avec toutes les branches de la science et de l’art de guérir.

Hélas ! l’euphorie n’allait guère durer. Le 10 mai 1846, une fièvre violente saisit tout à coup le pauvre Lactance. Lui-même et son ami le Dr Bruneau croient le mal léger et passager. Force est bientôt de conduire le malade à l’asile de Bloomingdale, près de New York. Là, un mieux apparent et rapide se fait sentir, suivi presque aussitôt d’une recrudescence du mal. L’esprit du malheureux a proprement chaviré. Enveloppe trop frêle pour une âme trop ardente. Louis-Joseph Papineau, accouru auprès de son fils, a ce mot juste : « Le désir de briller le poussait à trop d’efforts qui l’ont tué » (30 nov. 1846). Par bonheur, dans sa détresse parfois lucide, le malade sent refluer, dans sa conscience, toute son enfance chrétienne. Il s’y accroche comme à l’épave désespérée. Son père, cet incrédule d’une âme religieuse si complexe, s’en réjouit et l’encourage. Ainsi en témoignent quelques extraits de ses lettres en ces moments douloureux. Ils peignent l’homme sous un aspect si peu connu.

Papineau écrit donc à Mme Papineau :

Je lui ai dit [à Lactance] que c’était sans contredit la plus grande consolation qu’il pût recevoir et te donner que de se rattacher à sa vie antérieure par les fortes impressions et pensées religieuses de sa jeunesse.

Et Papineau continue son homélie à son fils :

C’est dans de si pénibles circonstances que tu ne peux être consolé qu’en te disant : Cet excès de malheur, que je ne puis m’expliquer, arrivant que par la permission d’une providence protectrice, je dois espérer, quoique ce soit son secret incompréhensible pour moi aujourd’hui, qu’elle peut et veut les faire servir à ses vues, qui sont sages et bienveillantes. Tu n’es pas le premier qui ait été ainsi affligé, qui a guéri, qui a rendu de grands services à la société, après le retour à la santé. Cela peut t’arriver : tu n’as que 25 ans.