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quatrième volume 1920-1928

Mais vous n’avez pas été seulement un homme éloquent. Nous n’avons pas manqué dans notre passé, et surtout dans notre monde politique, de ténors magnifiques. Ils ont longtemps passionné la foule. Le malheur de ces ténors fut d’avoir plus de voix que de cervelle. Votre originalité fut d’avoir plus de cervelle que de voix. Votre œuvre politique se dégage, dans le premier quart de notre siècle, comme un bloc à part, solide, imposant. Vous nous avez appris qu’au-dessus des partis il y a le pays, la patrie. À ce pays, à ce jeune État qui cherche toujours, sans l’avoir trouvé, un centre de gravité, vous avez rappelé, pour vaste qu’il soit, que ses frontières n’englobent aucune de ces petites contrées que sont l’Europe, l’Asie, l’Afrique, et que la patrie des Canadiens pourrait bien être le Canada et rien que le Canada.

Permettez-moi de vous le dire cependant. Votre influence sur votre génération, vous la devez moins à votre talent oratoire, moins à la substance solide dont s’étoffait votre éloquence qu’à des dons tout autres et d’un ordre plus élevé. Vous la devez d’abord à votre caractère, un caractère qui n’était pas du goût de tout le monde et c’est tant mieux, un caractère comme eût dit votre maître Veuillot peut-être « trop imprimé », mais un caractère qui avait du caractère. Le caractère ajoute au talent. Le caractère porte une œuvre. Sur votre œuvre, les opinions peuvent être partagées. Elles ne le sont pas sur votre courage, sur votre loyauté, sur votre conscience. Et pardonnez-moi, monsieur Bourassa, de parler de vous avec un peu de sans-gêne, comme on parle d’un personnage historique. Ce n’est pas tout à fait de ma faute si vous êtes entré, vivant, dans l’histoire.

Lui-même avait dit au début de sa conférence :

Si j’avais quelque cinquante années de moins, je serais un peu gêné pour remercier mon excellent ami M. Perrault de cette présentation trop élogieuse. Je coupe court, je me borne à dire que lorsque les jeunes de l’Action nationale sont venus me voir pour m’entraîner à ce péché de vieillesse, j’ai été particulièrement heureux de savoir que la réunion serait présidée par M. Perrault et close par M. le chanoine Groulx, et je veux dire pourquoi.

C’est qu’au cours d’une carrière assez longue nous avons eu certaines divergences d’opinions et nous les avons exposées.