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Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/286

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mes mémoires

libré les peureux. Après trois heures de discussions, tous ont fini par se sentir du courage ; et comme il arrive presque toujours en pareille occurrence, c’est tout juste si les plus craintifs ne se crurent point les initiateurs de l’enquête. Du même coup, il a fallu aussi rassurer les « intégristes » : ceux-là qui volontiers confondent tant de choses, n’entendent pas, sans alarme, à l’époque, ces appels à la conquête de la puissance de l’argent, ou du moins, de certaines formes de la richesse. Enrichir notre peuple, disent-ils et presque en se signant, n’est-ce pas le matérialiser, fausser sa vocation spirituelle ?

J’ai écrit l’article-manifeste et l’article-conclusion de l’enquête. On les trouvera dans mon volume : Directives. Incapable de jamais relire mes textes sans y jouer du crayon, je me suis permis, en ce volume, quelques retouches. Je n’ai rien altéré de ma pensée. Encore cette fois, qu’on me pardonne de me citer un peu longuement. Il importe que l’on sache, ce me semble, quelles anxiétés nous avaient amenés à poser le problème et quelles méfiances nous avons dû affronter. Voici d’abord, pour les « intégristes » :

Les enseignements de l’histoire nous prêchent à coup sûr la circonspection. Presque toujours, la richesse, l’opulence furent, pour les peuples, des germes de mort. Notre idéalisme latin pourrait-il ne pas redouter le prochain avenir, quand déjà toutes les puissances de la civilisation ambiante ne nous inclinent que trop au culte des forces matérielles ? Tous les jours, le spectacle lamentable ne s’offre-t-il point à nos yeux de beaucoup trop de nos compatriotes pour qui l’avènement à la fortune s’est accompagné d’une décadence familiale et d’un reniement total ou partiel de l’idéal catholique et français ?

D’autre part, nous ne pouvons échapper à ces faits impérieux : la guerre économique existe : elle se déroule sur tous les points du monde. Elle ne connaît ni les trêves, ni les armistices. Elle se fait au milieu de nous ; elle se fait contre nous. Chaque fois qu’une partie de notre patrimoine nous échappe ; chaque fois que, mal administré, les rendements en subissent des baisses ; chaque fois que le sol québécois fructifie pour d’autres que pour nous ; que nos épargnes, nos capitaux, s’en vont vers des réservoirs qui se déversent ensuite à l’étranger ; chaque fois que nous nous laissons devancer par des rivaux ; que, sous la concurrence ennemie, succombe une de nos institutions ; chaque fois