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que du régime actuel ». Qu’était-ce sinon assigner à l’enquête sur notre avenir politique un premier souci d’ordre général et idéologique, mais aussi un second de brûlante actualité. L’ami Vanier a vu juste. Un souci m’obsède alors qu’en ma conclusion de l’enquête sur le problème économique j’ai laissé plus qu’entrevoir : recherche passionnée d’une idée-force, d’un idéal organisateur qui puisse éveiller tout de bon notre peuple, rallier ses énergies pour un effort de survie victorieuse. Cette idée-force, je crus l’avoir trouvée dans l’idéal des ancêtres, survivance de l’ancien et du nouveau régime. Seuls en leur portion de l’Amérique du Nord, ou à tout le moins majorité dominante de 1760 à 1850, n’avaient-ils pas cru possible l’existence d’une « nation canadienne » dans un État canadien et français ? En outre j’étais frappé et de plus en plus alarmé de l’anémie croissante du sentiment national au cœur des Canadiens français. Cette anémie, la Confédération de 1867 l’avait, à mon avis, singulièrement aggravée, par l’introduction, dans l’esprit du peuple, d’un double patriotisme : le patriotisme canadien et le patriotisme canadien-français. Dualité malsaine qui n’allait profiter, en définitive, qu’au concept trompeur du « canadianisme tout court », mal, ambiguïté qu’avaient encore aggravés les molles attitudes de nos politiciens et une éducation nationale effroyablement inexistante. J’ai cru un temps, je l’avoue avec candeur, que l’établissement de l’État fédératif de 1867 et l’avènement d’un Québec remis en possession de sa personnalité politique et nationale auraient pu s’accompagner d’une véritable renaissance de la nationalité canadienne-française. D’ordinaire un peuple ne reconquiert pas pour rien son autonomie politique. J’avais compté sans la faiblesse et la sottise des hommes. Vers 1920 la Confédération ne me paraissait plus, pour mes compatriotes, qu’un déplorable et dangereux avortement. Mes écrits, mes discours témoignent amèrement en ce sens. L’amertume, la désillusion ne feront que s’accroître. À trente ans de distance, je ne puis pas ne pas être frappé de l’actualité continue de nos déceptions et de nos griefs. Déception d’abord, de la part des hommes, les nôtres, nos représentants à Ottawa ; déception des partis politiques. Je constate, par la revue (XVI : 54, 65, 96, 124, 365), qu’il faut rappeler aux organisations électorales, une obligation aussi élémentaire que celle d’élire, dans les comtés où nous sommes le nom-