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mes mémoires

poir vivant, possible en tout cas, d’une noble culture et à la grande échelle. Et notre petit peuple existait ; il existait malgré ses misères, puisqu’en son propre pays, les fils du conquérant le trouvaient si gênant, si embarrassant ; puisque l’ogre de l’assimilation, partout où il l’apercevait, même à l’état de poignée, ne cherchait qu’à l’étouffer et à le dévorer. Oui, nous croyions en l’avenir d’un Canada français. Et, dans ces longues marches du soir, je me souviens combien les moindres de nos victoires nous apportaient de réconfort et de joie. Et je me souviens aussi jusqu’à quel point, une reculade, une perte de terrain, un geste, un écrit malencontreux, une lâcheté de nos politiciens nous révoltaient et nous faisaient mal au cœur ! Ah ! ces confidences, presque dans la solitude et presque dans la nuit, au milieu d’une grande ville qui s’amuse ou qui dort, combien aujourd’hui, quand j’y songe, elles auraient pu nous souffler le doute sur notre action, sur notre œuvre ! Avions-nous perdu notre temps, couru la chimère ? Mais non, — était-ce encore une autre chimère ? — le plus souvent, rentrés chez nous, ou au moment de nous séparer, Perrault et moi, nous nous sentions possédés d’espoirs plus virils, de convictions plus fermes.

En dépit de tout, ma génération en fut une, je crois pouvoir le dire, de réaction énergique, de refus obstiné à la résignation. Un jour de juin 1927, lors d’un pèlerinage historique aux bords du Saint-Maurice, j’entrepris de décrire cette attitude réactionnaire des hommes de mon temps. Je transcris cette page extraite du XVIIIe volume de L’Action française (110-112). Elle mettra fin à ce chapitre d’histoire.

Quand vers 1900 notre génération entra dans la vie, tout de suite elle se posa en réaction contre la génération précédente, la génération des politiciens négatifs par qui toute la vie de la nation ne savait plus que tourner autour des stériles bavardages de tribune. Cette réaction fut peut-être excessive, animée d’un mépris trop sommaire pour les hommes et l’époque qu’elle abominait. Elle n’en portait pas moins en elle-même ce correctif, qu’au mépris de ce passé et des hommes qu’elle en tenait responsables, elle joignait la volonté d’organiser l’avenir et dès lors se proposait de le faire au nom d’une doctrine positive. Si elle se livre à la critique des idées qui ont produit la déviation de notre destin, ce n’est pas seulement par stérile récrimination ; c’est