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mes mémoires

de la jeunesse manitobaine, un soir de mai 1924, dans la cathédrale de Saint-Boniface, où elle a fait sa veillée d’armes : « Nouveaux Dollards placés aux avant-postes, dans la marche en avant du catholicisme dans l’Ouest, s’écriaient ces jeunes Manitobains, nous venons avant la lutte vous acclamer comme notre roi et vous jurer fidélité jusqu’à la mort ! »

Remué, séduit par ce qui se passe dans nos milieux de jeunesse, j’écrivais sur le même ton, dans L’Action française (VI : 215-216, 219) :

Vainement, pour expliquer ce phénomène, parlerait-on de propagande ou de mots d’ordre. Il ne faut point chercher dans l’artificiel ce qui déborde tout artifice. Ces spontanéités, ces larges mouvements d’ensemble ne trouvent leur raison complète que dans une sorte d’atmosphère déjà diffuse à travers toutes les âmes… Nous regardons alors du côté de la jeunesse et nous découvrons qu’un sens plus aigu du passé la tient et la possède… il semble que notre jeunesse ait quelque clair instinct que de grandes choses, l’avenir de sa race et de son pays se jouera sur sa tête… Ceux qui ont connu d’autres temps sont heureux de s’en apercevoir : grâce à l’admirable esprit de nos communautés religieuses, grâce au dévouement éclairé de tous ceux qui enseignent, aujourd’hui, dans nos plus petites écoles, l’on sculpte de l’espoir.

L’on aura remarqué les derniers mots. Dans nos écoles, on s’appliquait à former, en ce temps-là, une magnifique génération de petits Canadiens français. Comment ce feu sacré s’est-il éteint ? Qui a fauché tant d’espoirs, tant d’exaltantes promesses ? Qui ?… Tout ce qui, un jour, devait tuer l’Action française. Et nous aurons à y revenir. En attendant, énumérons au moins quelques causes partielles : l’absence de sens historique chez un peuple qui n’a jamais bien possédé son histoire, trop dépourvu par conséquent de sentiment national : ce qui le rend si inconstant dans ses sursauts, ses réveils trop peu appuyés sur du solide ; l’intervention aussi d’une nouvelle génération de l’ACJC, génération querelleuse qui prétend revendiquer la fête de Dollard comme sa propriété et qui ne s’en empare que pour la laisser tomber, à tout le moins, le pèlerinage à Carillon. Ajoutons l’opposition encore de quelques grincheux — tel le brave abbé Élie Auclair, pourtant surnommé le « bénitier national », qui s’insurge contre la