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troisième volume 1920-1928

cette même époque une autre constatation me désole : l’effrayante déficience de notre système éducatif. Comment un peuple réputé fier, jadis, d’une singulière indépendance d’esprit, avait-il pu devenir ce troupeau sans tête et sans énergie, dépouillé de tout sens de son destin, presque content de servir et d’être joué, peuple sur le bord de l’abdication ? Dans le Québec, notre enseignement pouvait avoir progressé. Notre éducation nationale à tous les paliers, primaire, secondaire, supérieur, s’avérait une faillite. Mais, en même temps que ces tristesses, quels motifs de confiance je recueille un peu partout ! Comme on me veut de bien, de gratitude, pour le réveil historique dont je ne suis que le modeste artisan ! Et comme on aime L’Action française pour son cran, sa tentative de relèvement. Et ce relèvement, comme il me parut malgré tout facile, si seulement l’on parlait au peuple le langage qu’il a besoin d’entendre !

On comprend après cela le fort accent que L’Action française ne cessera de mettre sur l’opportunité d’un renouveau de l’éducation publique. On comprendra de même qu’en mes discours j’aie jeté aux nouvelles générations des appels passionnés. En chacune de mes conférences de ce temps-là, se rencontre, en effet, un leitmotiv, l’appel à la jeunesse, le souci de conquérir à l’idée nationale « ceux qui viennent ». C’est toute la finale, par exemple, du discours que je prononce au soir de notre pèlerinage aux Forges du Saint-Maurice. J’ai abordé, ce jour-là, l’entier problème de notre vie. C’est pourquoi je cite un peu trop longuement peut-être ma conclusion. Déjà, je prévoyais ou j’appréhendais cette rupture entre les générations qui sera le mal suprême des années 1950 :

Ces graves sujets de réflexion, puis-je les proposer tout particulièrement à la jeunesse étudiante et lettrée de chez nous ? Peut-être voudra-t-elle permettre à un homme qui a suffisamment aimé la jeunesse pour n’être pas suspecté de malveillance, de lui parler avec toute sa franchise, les yeux dans les yeux ? Je ne lui cacherai point l’inquiétude des hommes de ma génération, lorsqu’aujourd’hui, regardant derrière eux, ils se voient incertains des pensers et des vouloirs de ceux qui les suivent.

Je rappelle à la jeunesse d’alors la gravité des problèmes de l’heure. Je m’étonne de son attitude d’expectative trop prolongée :