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Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/87

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troisième volume 1920-1928

chaudes discussions. Cette même année, dans mon voyage à Paris, j’avais apporté avec moi mon manuscrit. À l’Hôtel Jean-Bart, je m’étais livré à une sorte de test ou d’épreuve. J’avais repris la lecture du roman devant un autre groupe : groupe de jeunes étudiants canadiens-français, surtout prêtres et religieux, alors en vacances en Europe. Par désir d’un jugement plus libre, plus désintéressé, on s’en souvient, j’avais présenté le manuscrit comme étant celui d’un jeune auteur qui désirait garder l’incognito. On me parut s’intéresser vivement à ma lecture. À mon retour au Canada, l’année suivante, je me décidai à publier le petit roman devenu désormais L’Appel de la Race. Pour ne pas compromettre ma gravité d’historien, je décidai de le publier sous un pseudonyme. Je choisis le nom de l’un des compagnons de Dollard : Alonié de Lestres. En juillet 1922, L’Action française annonce l’ouvrage pour fin d’août ou début de septembre : « Ce sera, y lit-on, l’analyse de l’un des cas les plus dramatiques que posent beaucoup trop de foyers de chez nous. » L’Appel de la Race est mis en vente dans les premiers jours de septembre. Singulier petit livre qui ne s’attendait guère à faire dans le monde entrée si bruyante. Comme quoi il n’y a pas que les chefs-d’œuvre qui font parler d’eux. Un mois après son apparition, la première édition tirée à 3,300 exemplaires est déjà épuisée. Il faut réimprimer. En moins de cinq mois, plus de 6,000 exemplaires sont vendus. L’Appel de la Race aura une troisième édition. Il atteindra, dépassera même les 10,000 exemplaires. Et sa fortune ne s’arrête pas là. En 1943 il connaît une 4e édition chez Granger Frères. Et il en connaîtra une autre, sa 5e et son 18e mille en 1956, alors que les Éditions Fides le feront entrer dans leur collection du Nénuphar. En 1965 il en sera à son 20e mille.

À son apparition le livre suscite une émotion profonde dans les milieux où le mariage mixte sévit à l’état de fléau : l’Ontario français, l’Ouest canadien, les centres franco-américains de la Nouvelle-Angleterre. Dans l’Ontario où le drame de L’Appel de la Race se situe, en pleine bataille scolaire, on l’accueille avec une ferveur particulière. Le Père Georges Simard, o.m.i., qui, hélas, depuis… voit, dans le roman d’Alonié de Lestres, « un épaulement moral » pour la minorité persécutée. L’œuvre, veut-il même affirmer, « contribuera, pour sa part, à donner de la consistance à notre mentalité canadienne-française, voire à notre